Sa tête le lançait horriblement, comme si on tapait dessus avec un marteau. Le monde tanguait comme un bateau pris en pleine tempête de déluge, tournoyait comme si quelqu'un jouait à la toupie avec. Chaque source de lumière, aussi faible soit-elle, était déjà douloureuse et difficilement supportable pour ses yeux qui venaient de s'entrouvrir pour se refermer immédiatement sous cette assaut qui les avait éblouis. Portant sa main à son crâne dans l'espoir que cela calme l'affreux martèlement de ses tempes, Sora eut une grimace de douleur. Mais qu'est-ce qui se passait, au juste ? Il ne se souvenait pas s'être pris la cuite de sa vie la veille au soir, pourtant.... En fait, on pouvait facilement le qualifier de buveur modéré, qui faisait rarement dans l'excès. Gardant les paupières bien serrées et positionnant sa main devant pour les recouvrir et masser ses tempes, le jeune homme tenta malgré son mal de tête de se remémorer ce qui s'était produit pour qu'il en arrive à l'évanouissement.

Le soleil n'était pas levé depuis bien longtemps mais, une fois n'est pas coutume, sa Chain avait trouvé le moyen d'agir comme son réveil sur pattes personnel en se jetant sur lui peu après que le jour ait commencé à pointer. Comme cela voulait en général dire qu'elle voulait sortir – la pauvre n'avait pas souvent l'occasion de profiter des rayons du soleil non plus, ne pouvant se montrer aux yeux de tous –, son lié s'était levé et avait entrepris de laisser ses pas le guider de manière hasardeuse dans les ruelles les plus excentrées de la capitale, en direction de la périphérie et de ses grands espaces à l'air libre. Il était donc dans une ruelle assez étroite de Réveil, en compagnie d'Alfic puisque les environs n'étaient pas des plus fréquentés, quand notre artiste de rue vit plus loin un homme aux cheveux blancs, accompagné d'un chien noir. L'inconnu ne semblait fort heureusement pas les avoir remarqués, donc il entreprit de renvoyer la tigresse dans l'Abysse avant que cela ne change... Quand... Le mur, pile à équidistance entre les deux duos homme/animal, s'était distordu. Un fait des plus étonnants qui le fit hausser les sourcils, interloqué. Enfin il n'avait pu que commencer ce mouvement d'étonnement, car cette chose les aspira alors, tous autant qu'ils étaient... Puis le trou noir.

Retour à la situation présente et à un froncement de sourcil. Et ensuite ? Impossible de se remémorer quoi que ce soit. Que s'était-il passé, exactement ? Sora n'en avait strictement aucune idée, mais la meilleure manière de découvrir quoi que ce soit n'était certainement pas de rester allongé sur... Quoi, d'ailleurs ? D'après le contact que son dos entretenait avec cette surface dur, c'était du carrelage. Lâchant un petit soupir de résignation, il se leva en ouvrant lentement les yeux pour regarder les alentours et ne retrouva rien qu'il connaissait... Pour cause, jamais il n'avait vu d'escaliers suspendus au plafond. Ni d'armoires aussi grandes, à l'image du reste. Tout était surdimensionné, rien n'avait de logique quelconque – à moins que celle-ci ne soit pas évidente, mais on pouvait tout de même douter de l'utilité d'une sorte de toboggan lisse et qui zigzaguait un peu dans tous les sens tout en décrivant dans la globalité une spirale, qui montait d'un côté et descendait de l'autre. Un spectacle éberluant, ceux qui habitaient ici avaient de drôle de goût niveau décoration d'intérieur. Le contractant comprenait de moins en moins l'endroit en l'explorant du regard, mais au bout d'un moment il aperçut tout de même quelque chose de familier. Ou plutôt quelqu'un, puisqu'il s'agissait de l'inconnu dont la route avait croisé la sienne un peu plus tôt... Un peu plus tôt, vraiment ? C'étaient ce que ses sens lui disaient, mais ils s'étaient retrouvés endormi donc savoir combien de temps s'était écoulé s'avérait impossible. Se dirigeant vers l'homme aux cheveux blancs qui semblait lui aussi sortir tout juste de cette petite sieste improvisée et involontaire, notre jongleur prit la parole.

-Vous allez bien ?

Puis, promenant encore une fois ses yeux gris-bleu sans que cela ne lui serve à grand-chose à part se dire que le décor était digne d'une attraction foraine très poussée, il continua sur un ton curieux mais tout de même assez exaspéré.

-Dites... Savez-vous où nous sommes ?

Autant voir si celui qui de toute évidence était son compagnon d'infortune en savait plus que lui, on ne sait jamais. Et puis ils étaient seuls, donc ne pouvaient pas s'appuyer sur quiconque d'autre, or mieux valait ne pas se retrouver en solitaire dans ce genre de situation... Attendez un peu. Seuls ? Si ses souvenirs étaient bons, Ally l'accompagnait quand la paroi s'était mise à faire des trucs bizarres puis à les aspirer. Tout à coup paniqué, Sora chercha désespérément une fourrure blanche et noir dans les parages, mais sans succès. Alors il eut recours à la seule solution qui lui traversa l'esprit sur le coup, c'est-à-dire mettre ses mains autour de sa bouche pour que sa voix quelque peu paniquée  - car l'associé défendu sentait qu'elle n'était pas tout près – couvre la plus grande distance possible.

-Alfic !

Un appel qui n'eut pas de réponse. Gardant la position du porte-voix quelques secondes, il baissa ensuite lentement les bras et fixa le long couloir, puis se retourna vers le toboggan géant. Où était-elle ? Le vagabond sentait son cœur cogner fort dans sa poitrine, alimenté par un sentiment proche de la détresse. C'était la première fois qu'il se sentait aussi séparé d'elle, car même quand elle était dans l'Abysse leur lien lui permettait de sentir sa présence. Non pas qu'il ne la sentait pas ici, mais le « signal » était beaucoup moins intense. Une petite pointe de désespoir le prit, rapidement chassée cependant pour raffermir sa volonté. Sora allait retrouver sa Chain et partir de cet endroit qui déjà ne lui plaisait pas. C'est alors qu'il se souvint ne pas être seul. Se tournant vers son camarade du jour, il lui adressa un petit sourire gêné... Et se rendit compte qu'il l'avait vu accompagné d'un chien, tout à l'heure. Lui aussi avait perdu son compagnon, on dirait.  

-Nous sommes dans la même galère on dirait... Vous aussi, vous comptez chercher votre compagnon ? Il tendit alors la main vers lui. Je m'appelle Sora. Et vous ?

Faire connaissance n'était pas du luxe, dans cette situation. Et se savoir accompagné était rassurant, donc rester ensemble était la meilleure option... Non ?

La situation était pour le moins.... Déroutante. Après tout, ce n'était pas tous les jours que Sora se réveillait dans un endroit étrange dans lequel même les lois de la physique étaient ignorées – il en voulait pour preuve que certains objets étaient penchés à des angles improbables sans avoir de support quelconque. Et puis il faisait jour mais... Où étaient les bougies, les chandeliers, les lampes à huile ou encore les fenêtres ? D'où venait cette lumière, en somme ? Le jeune homme n'en savait rien et sentait que chercher une explication à tout ce qui lui paraissait bizarre en ces lieux ne résulterait qu'en une perte de temps et un gain de migraine. C'était comme si, en ce lieu, tout était fait pour perturber les sens et l'esprit des visiteurs. Mais quoi qu'il en soit, puisqu'il n'était pas seul ici, il avait rapidement entreprit d'aborder celui qui était soit son compagnon d'infortune, soit l'un des habitants de cette étrange demeure. Notre artiste de rue ne savait pas quelle option lui plairait le plus, parce que si cette présence inespérée était exactement dans le même cas que lui cela le ferait se sentir moins seul, mais en même temps s'il logeait ici il serait en mesure de lui indiquer la sortie rapidement. M'enfin très sincèrement, il doutait que l'inconnu soit du coin. L'espoir fait vivre hein, malheureusement il devait vite apprendre de la bouche de son vis à vis que son doute était fondé.

-Je vois... Dit-il, sur un ton dans lequel on sentait un certain désespoir.

Sora n'osa pas ajouter quoi que ce soit d'autre, parce que l'homme semblait de mauvais poil et qu'il valait mieux ne rien faire pour empirer la situation. Être en mauvais terme avec la seule personne présente n'était pas une bonne idée, il préférait encore collaborer avec lui pour sortir de cet étrange endroit le plus tôt possible.

Mais la situation s'avéra plus catastrophique qu'il ne l'avait pensé au final, puisque le contractant ne tarda pas à se rendre compte que sa Chain n'était pas dans les parages. Mais bon sang, pourquoi Alfic et lui étaient-ils séparés alors qu'ils étaient l'un à côté de l'autre juste avant qu'un étrange événement ne les emporte ailleurs ? Il n'en savait rien, mais cette absence lui pesait fortement. Plus que si la tigresse était venue s'allonger sur lui alors qu'il dormait encore. Sora n'était pas naïf au point de penser que sa liée ne représentait rien pour lui et que sa présence ne lui importait guère, il était même conscient de ce qu'il lui devait et de la force du lien qui s'était formé entre eux, mais c'était quand même un coup à se rendre compte que l'avoir à ses côtés le rassurait énormément. De plus – il s'en rendait compte maintenant - en tant que pactisant et Chain, l'un de leurs privilèges était que même quand ils ne se trouvaient pas dans le même monde, chacun pouvait sentir la présence de l'autre à l'orée de sa conscience, comme si on leur tirait perpétuellement et doucement la main ou la peau. Cependant les lieux semblaient s'opposer à cette sensation et cela ne faisait qu'accentuer l'impression qu'elle était loin de lui, ce à quoi le sans emploi fixe n'était pas habitué et se serait bien passé.

Tout naturellement, il avait donc cherché Ally du regard puis l'avait appelé. Mais elle ne lui rendit rien, aucune réponse ne résonna dans cette étrange demeure pour le rassurer quand à son bien-être et à sa position. Cela n'avait fait qu'accentuer son anxiété : et s'il lui était arrivé quelque chose ? Sauter sur cette conclusion était un peu hâtif puisqu'il la savait taquine et chipie mais surtout farceuse, seulement comme je l'ai déjà dit la sensation qu'ils étaient reliés par-delà les mondes était tellement atténuée ici que le jeune homme ne pouvait s'empêcher de négativer. Son cœur au rythme effréné et sa lèvre inférieure pincée montraient bien que de sombres pensées flottaient dans son esprit, qu'il se demandait si ce n'était pas que la fauve ne voulait pas lui répondre, mais plutôt qu'elle ne pouvait pas. Qu'elle n'était pas en état pour. Et franchement, cette pensée le mettait mal à l'aise. Mais il n'était apparemment pas le seul à avoir perdu son compagnon de vue, puisque l'homme tombé ici avec lui se mit aussi à crier un nom - qui était certainement celui du chien que Sora avait vu en sa compagnie avant que tout ne devienne si étrange. Bon, voilà qui leur faisait un nouveau point commun, déjà qu'ils avaient tous les deux des yeux et des cheveux d'une couleur rare... Et qu'ils s'étaient tous les deux retrouvés ici. C'était quoi la suite, ils étaient tous les deux des contractants illégaux ?

Quoi qu'il en soit, savoir l'inconnu dans une situation similaire et paniquer aussi lui avait permis de relativiser. Un peu. Tout juste assez pour se forcer à sourire et exposer l'évidence à voix haute en fait. C'était déjà pas mal non ? En temps normal, le jongleur serait resté planté là, les bras ballants, pendant un long moment en se demandant si on venait encore de lui retirer un être cher. Ça aurait été un coup dur pour lui. Mais puisque quelqu'un partageait ses sentiments, il pouvait se dire qu'ensemble, retrouver leurs amis n'était pas impossible et qu'ils pourraient se soutenir. La main qu'il tendit vers son vis à vis résuma bien son envie de faire connaissance et de partir en exploration en groupe.
Allez savoir pourquoi, mais cela sembla donner un coup de boost à l'homme aux cheveux blancs qui s'exprima vivement avant de s'avancer jusqu'à lui pour le pousser de l'avant. Bon au moins la motivation était au rendez-vous et ne serait certainement pas de plus, Sora se laissa faire sans laisser ses lèvres se détendre. Son coéquipier du jour aurait des raisons de penser qu'il faisait équipe avec un idiot heureux tiens, ce n'était pourtant pas le cas du tout seulement selon lui il fallait bien qu'un d'eux deux sourie, quitte à se forcer.

Nos deux protagonistes se mirent en mouvement, puis celui aux yeux violets avait enfin répondu à sa question, fournissant ainsi son prénom.... Ou pas. L'empressement devait prendre le pas sur tout le reste, pour que l'inconnu l'ignore aussi magnifiquement bien. Mais comment lui en vouloir ? En tout cas, notre associé défendu le comprenait trop bien pour en être capable.

-C'est une tigresse blanche très blagueuse... Elle s'appelle Alfic. Quel est votre nom déjà ?

C'était sorti sans une once de reproche. Le lanceur de couteaux essayait de signaler gentiment à son interlocuteur qu'il ne s'était pas présenté, mais n'était pas sûr d'y être parvenu. Bon, au pire, sa réaction le lui dira bien assez tôt.
Par la suite le duo se retrouva devant le toboggan géant, derrière lequel se trouvait une petite fenêtre. En regardant à travers les carreaux, Sora se demanda s'ils n'étaient pas au dernier étage vu la distance qui les séparait du sol. Un petit soupir s'échappait de sa gorge, quand deux petits points monochromes dans le jardin en contrebas attirèrent son attention...

-Ils sont tout en bas !

Et non tout espoir n'était pas perdu car, en effet, les deux points étaient en fait deux animaux : l'un correspondait à la description du chien et l'autre n'était autre qu'Alfic. Se tournant vers Willow, notre Enderstar tenta de réfléchir.  

-Avec un peu de chance, peut-être que le toboggan va jusqu'au rez-de-chaussée ?

Ce serait une chance...

…....

Mais pourquoi faisait-il aussi beau, ici ? C'était un malheur pour ses yeux de fauve.
Alfic ne savait pas où elle était ni pourquoi, tout ce qu'elle savait en fait c'était qu'elle était séparée de Sora et que cet endroit n'était pas normal. C'était certainement une autre dimension, comme l'Abysse. La tigresse s'était réveillée dans un jardin qui bénéficiait d'une – trop – forte luminosité et avait mis quelques minutes à examiner la situation, après avoir paniqué en sentant son pactisant loin d'elle. Après s'être calmé et avoir tiré le plus de conclusions possibles de sa situation et de son environnement, Ally s'était mise à avancer sans but précis, cherchant juste à se rapprocher du bâtiment qui se dressait plus loin. Mais alors qu'elle progressait tranquillement, sa route croisa celle d'un chien-loup qui, si ses sens ne la trompaient pas, était aussi un Chain. Bah si ça se trouve, il serait en mesure de l'aider... Ou de la fixer longuement, un regard qu'elle lui rendit avec neutralité jusqu'à ce que son congénère n'adopte une position légèrement plus offensive. Là, elle ne put s'empêcher de rire doucement.

-Pas la peine d'être aussi offensif, je ne suis pas une ennemie. Juste une Chain perdue.... Sur cette phrase son ton s'était fait quelque peu moins enjoué, en s'en rendant compte Alfic s'était repris rapidement. Mais que fais-tu là, toi ? Je suis à peu près sûre de t'avoir vue en compagnie d'un homme aux cheveux blancs, dans cette ruelle de Réveil.

Que faire, dans une situation de crise ? Chacun avait ses propres techniques et sa propre logique, révélateurs de sa personnalité et de sa véritable force de caractère. Mais avant tout, commençons par définir ce qu'est exactement une situation critique.
Une situation de crise, c'est quand nous sommes faces à un moment bouleversant dans notre vie. Bien souvent, il se caractérise par un choix que nous sommes obligés de faire et qui, quoi que nous fassions, bouleversera le reste de notre existence. C'est aussi une période pendant laquelle nous sommes troublés par l'ébranlement de l'un de nos repères. On pourrait aussi dire qu'elle est reconnaissable de par sa difficulté, ce ne serait pas faux. De plus, on dit souvent que c'est pendant ces périodes qu'on peut voir qui tient assez à nous pour nous venir en aide à tout moment.
Des instants de brouillard total pendant lesquels rien – et encore moins l'avenir ou ses convictions – n'était clair, Sora en avait connu. C'était la détresse qui l'avait saisi alors qu'il regardait Létha se faire battre par le chef de la troupe et un abattement sans nom ni fin qui lui avait ruiné le moral pendant les derniers mois de sa bien-aimée, qu'il avait regardé mourir à petit feu en se sentant le plus inutile des hommes. Ces deux étapes importantes dans sa vie comptaient comme des crises, car elles avaient complètement ébranlé les bases de son existence : plus jeune notre contractant avait pensé passer une bonne partie de sa vie avec la troupe mais elle s'était finalement dissoute à ses quatorze ans, puis plus tard il avait cru pouvoir passer le restant de ses jours avec la femme de sa vie comme épouse et être heureux à ses côtés, seulement on la lui avait enlevée en même temps que le fruit de leur amour.

Mais aujourd'hui, c'était une crise complètement différente de celles qu'il avait connues jusqu'ici à laquelle le jeune homme devait faire face. Pris au piège dans une autre dimension qui mettait son sens de la logique à rude épreuve sans avoir  de mode d'emploi sur comment en sortir sous la main – ça aurait été pratique –, on l'avait séparé de sa Chain pour le mettre à la place avec un homme qui, lui aussi, ne savait pas où était son compagnon. Quelle étrange coïncidence quand même.
Revenons-en aux différentes manières de réagir face à un problème sérieux. Dans ce cas, il existe chez l'Homme quatre manières principales de réagir : se tétaniser sur place et attendre que les choses passent à cause du désespoir et du sentiment que surmonter cette épreuve est impossible, fuir par peur panique, prendre les choses avec humour et positiver pour alléger la situation, ou bien encore aller de l'avant malgré tout même en ayant peur. Bien souvent, ceux qui appartiennent à cette dernière catégorie sont des leaders qui ont là l'occasion de se révéler comme tel : ils prennent les devants parfois même sans s'en rendre compte et poussent les autres vers l'avant.
Le bonhomme avec qui Sora se retrouva coincé était sans aucun  doute de ces gens qui savent puiser en eux les ressources nécessaires pour inspirer les autres sans les laisser tomber et être les héros du jour. Tandis que lui-même se sentait encore un peu abattu en sentant Alfic si loin de lui, l'inconnu s'était tout de suite empressé de se mettre en marche en l'entraînant avec lui. Du coup, en le voyant si motivé, il avait décidé de jouer le rôle de celui qui sourit et reste dans un calme pouvant passer pour de l'idiotie histoire d'équilibrer leurs tempéraments.

N'empêche l'empressement n'était pas trop son truc, contrairement à son coéquipier du jour qui zappa deux fois de se présenter – et lui lança un regard disant clairement « t'as vraiment rien de mieux à faire que me demander mon prénom ? » pour toute réponse à sa seconde tentative. Ils allaient vraiment être complémentaires.
Ils se mirent rapidement en marche vers l'étrange toboggan bidirectionnel – ou plutôt l'étranger aux cheveux blancs le poussa dans cette direction –, derrière lequel l'artiste de rue trouva une fenêtre qui lui révéla qu'ils étaient juste au-dessus de leurs deux camardes – mais un peu trop  haut pour tenter le grand plongeon sans y risquer moins que quelques os fêlés, malheureusement. C'est bien pour cela qu'il proposa de tenter le toboggan, sans vraiment s'imaginer que celui qui se présenta – enfin – sous le nom de Willow allait le braquer sévèrement du doigt pour exposer très sérieusement deux points, avant de sourire à pleine dents pour se présenter en expliquant être « la vengeance », des paroles mystérieuses qui le rendirent perplexe, pendant que son compagnon d'infortune se laissait emporter dans la descente en lâchant un rire qui résonna.
Sora courut immédiatement vers la structure glissante.

-Willow !

Mais pourquoi se séparer ? Ce n'était pas une bonne idée selon lui. À la fois paniqué et inquiet mais partagé entre son envie de suivre le mouvement et les instructions laissés par Willow, il marqua une seconde d'intense hésitation avant d'inspirer un grand coup. Tant pis si cela allait l'agacer, mais c'était hors de question de le laisser y aller seul comme ça. Le vagabond s'élança donc à son tour en espérant bien ne pas tomber dans un piège, et remarqua en jouant les savonnettes que... Le toboggan n'allait pas vraiment à la verticale, puisqu'à un moment la spirale laissait place à des zigzags.
Une fois arrivé au bout, il eut l'impression d'être littéralement éjecté du manège. Et ce ne devait pas être une impression, puisque son élan était tel qu'à sa sortie il fut projeté.... Jusqu'à Willow, qui servit – certainement contre son gré – d'amortisseur. Un peu étourdi par cette magnifique série de spirales et de virages serrés ainsi que par cet effet vol plané, l'associé défendu mit un peu de temps avant de reprendre ses esprits et de se relever.

-Oups... Pardon.

C'est qu'il était tout penaud, sa gaucherie le rendait un peu honteux quand même. Cela dit, il entreprit de regarder à quoi ressemblaient les alentours et se rendit compte qu'ils étaient dans une salle assez grande. Cette nouvelle zone était moins bien éclairée que la précédente, une certaine pénombre y régnait – normal, quand il n'y avait aucune fenêtre ni bougie. Enfin quelque chose de logique ici.
Finalement, Sora aperçut plus loin une porte et entreprit d'aller l'ouvrir pour sortir. De l'autre côté, la lumière régnait de nouveau dans un couloir bordé par de grandes vitres dont il s'approcha, curieux. Et la vue fit bondir son cœur.

-Nous sommes au bon étage ! Son ton se fit ensuite moins enthousiaste. Mais... pas du bon côté apparemment.

Se tournant vers Willow, il le consulta du regard pour connaître son avis. Puis notre jongleur commença une conversation.

-Et si tu me parlais de ton compagnon ?

Après tout, ils devaient largement avoir le temps de papoter un peu. Les lieux semblaient immenses, alors rejoindre la bonne aile et trouver la sortie menant aux bons jardins allait demander une bonne trotte.



Après qu'Alfic ait gentiment ri de lui en blaguant pour alléger l'atmosphère, le chien avait semblé se calmer. Mais comment savoir si c'était vrai ou pas ou même si c'était une bonne chose, quand derrière il se mettait à tourner en rond ? Elle le regarda tout d'abord faire, perplexe, avec l'étrange impression qu'il voulait lui faire  comprendre quelque chose.... Et c'est alors qu'une révélation la frappa.

-.... Tu ne peux pas parler ?

Cette question avait au final sonné comme une affirmation, puisqu'elle en était certaine. Soupirant intérieurement en se disant que ça n'allait pas faciliter les choses s'ils ne pouvaient pas communiquer oralement, la tigresse le vit alors s'étaler au sol.... Et rouler. A l'instar une pierre sur une pente – bon en même temps, ils étaient sur une pente. Mais il devrait pouvoir se relever, non ?... Ou pas, puisqu'il se laissa complètement. Un miroir apparut magiquement alors plus bas comme pour freiner le tonneau du chien – ce dont elle doutait beaucoup intuitivement or son intuition était souvent juste –, ce qui la fit lâcher un « tché ! », puis elle se mit à courir.

-Hé, relèves-toi ! Vite, avant d'arriver au....- Non mais quel boulet !

Alfic dans toute son adorable politesse. Cette dernière exclamation traduisait tout l'agacement entièrement nerveux qu'Ally ressentit en le voyant traverser le miroir aussi facilement que s'il s'agissait d'une surface liquide. C'était quand même un peu blasant. Bah, qu'à cela ne tienne, elle allait voir si elle pouvait l'aider – elle ne pouvait quand même pas le laisser seul, si ?
Plus la quadrupède se rapprochait, mieux elle pouvait voir ce qui se tramait exactement : de l'autre côté, son congénère se battait contre un double de lui au poil sombre et n'avait pas l'air de bien s'en sortir. Sans vraiment prendre le temps d'échafauder une stratégie ou quoi que ce soit, elle fit trois foulées allongées avant de donner à ses pattes arrières l'impulsion maximale qu'elles pouvaient tolérer tout en se servant de son élan pour bondir vers le miroir – en espérant ne pas s'écraser lamentablement dessus, surtout que ce serait douloureux.
Par chance il n'y eut pas de souci sur ce point et, en rejoignant les deux combattants, elle atterrit droit sur le noir. Bien décidée à saisir cette opportunité d'attaque surprise, la Chain l'attrapa à pleines dents au niveau de l'épaule et ne le lâcha que quand il fit un tour sur lui-même – hors de question de perdre des crocs. Elle se rangea alors à côté de son camarade de poisse.

-Faisons-lui la peau, à ce clone raté, dit-elle avec un enthousiasme sauvage.

Être piégé dans une dimension étrange avec un étranger, avec une Alfic à retrouver dans ladite dimension : fait ! Ah là là, non seulement cet endroit qui trompait tous ses sens, mais en plus son camarade d'infortune était très sombre malgré la blancheur de sa chevelure et être séparé de sa Chain le stressait quelque peu. Quand on enlève un pilier à un fondation ou une carte au premier étage d'un château de cartes, c'est toute la construction qui s'en retrouve facilitée. Eh bien c'était exactement ce qui lui arrivait, alors qu'il se sentait si loin de celle qui était devenue un soutien important. Cela le troublait bien plus qu'il ne l'admettait.
Décidément, Sora allait finir par croire que sa vie était un enchaînement de péripéties étranges. On pourrait s'imaginer qu'il en avait marre, qu'il se demandait pourquoi lui, qu'il aurait aimé savoir pourquoi le sort s'acharnait sur lui. Ou même s'il en avait une, mais c'était bien connu : la vie et la mort sont tels des enfants jumeaux, qui se disputaient et jouaient sans délicatesse avec de petites poupées – de petites créatures –, sans faire attention aux dégâts qu'ils faisaient. Ils ne voyaient pas la sensibilité dont étaient dotés ces êtres vivants, ou ne la prenaient pas en compte, trop omnipotents et accaparés par leurs jeux qu'ils étaient pour cela. Même un Homme peut avoir plus de considération pour une fourmi que ces deux entités invisibles et pourtant présentes partout ne pourraient jamais en avoir à notre égard ou à celle de tout organisme vivant.

Non, cela faisait bien longtemps que Sora ne cherchait plus à trouver une raison ou un coupable à tout ce qui lui arrivait. Enfin parfois cela lui arrivait, quand il se perdait dans de longues et tristes rétrospectives qui plombaient son humeur, mais sinon il s'en abstenait. À force d'habitude, de longues heures passées à tout ressasser en cherchant un sens aux choses, il avait fini par réaliser que c'était inutile. Tout simplement parce que non seulement il n'y a pas forcément de fautif à blâmer ou de pourquoi au comment, mais qu'en plus même s'il y en avait, s'en prendre à eux n'était pas forcément utile. Tout ce que nous cherchions, c'était de nous persuader que nous n'étions pas responsables. Dans son cas, le jeune homme avait bien des remords et se sentait coupable de certaines choses, mais à force il avait appris à transférer une partie de ces sentiments sur le compte de la malchance. Il n'avait pas demandé à perdre ses pères biologique et adoptif, n'avait pas demandé à devenir un assassin, n'avait certainement pas souhaité la mort de Létha. En revanche, lorsqu'il se laissait étouffer par ces poids invisibles, n'arrivait plus à avancer car sa jambe fatiguait à force de devoir traîner une charge pareille, restait les bras ballants, incapable de saisir quoi que ce soit, parce que des menottes à chaîne créées par son esprit lui enserraient douloureusement, qu'il laissait ses yeux s'embuer d'un voile qui le rendait aveugle à tout ce qui l'entourait, bref, lorsqu'il s'arrêtait d'aller de l'avant, ne prenait plus aucune chance et ne voyait plus l'instant présent, là, c'était de sa propre faute.

Tout cela, c'était à Alfic que le contractant illégal le devait. Il était encore – serait toujours – affecté par ce qu'il avait traversé, mais au moins il avait appris à vivre avec. Bon, souvent, cela avait pour conséquence qu'il ne semblait pas bien affecté par les choses, mais c'était simplement parce qu'il ne dramatisait pas ouvertement, ne se mettait pas à hurler ni à pleurer.
Les sentir aussi éloignés l'un de l'autre, ne pas ressentir sa présence même via leur lien, cela était une nouveauté. Sora était bien décidé à retrouver son amie. Pour se faire, il pensait que le mieux était que lui et Willow fassent équipe : deux têtes valent mieux qu'unes, huit membres ont plus de capacités que quatre. Ils étaient théoriquement alliés, alors diviser leurs forces serait dommage. À moins que le jongleur n'ait pas envie de se retrouver seul en ces lieux qui le mettaient mal à l'aise ? Mouais, y'avait peut-être un tout petit peu de ça aussi.
Bref, après avoir mis Willow d'encore plus mauvais poil qu'il ne lui avait déjà semblé être (en tentant de le transformer en crêpe pour ceux que ça intéresse), les deux protagonistes avaient repris leur route. Au moins étaient-ils désormais au bon étage, c'était du positif. Après, le bâtiment semblait immense (assez pour contenir une sorte de toboggan géant), alors ils risquaient d'en avoir pour une trotte avant de retrouver leurs compagnons velus.

Sora eut donc l'idée de démarrer une conversation, seulement Willow répondit froidement par une remontrance. Cela le gêna un peu, cependant son interlocuteur n'en avait pas fini avec les surprises.
C'était sans doute la première fois qu'il entendait quelqu'un avouer aussi rapidement et simplement son contrat. Le jeune Enderstar haussa les sourcils en se demandant s'il était en train de se payer sa tête.
Il n'eut pas le temps de répondre que, déjà, son camarade de galère continuait. Eh bien, apparemment il était lancé, on ne pouvait pas l'arrêter ! Comme quoi tout le monde pouvait se transformer en pie si on leur laissait l'occasion, même ceux qui semblaient aussi bavards que leur ombre. Mais encore une fois, on ne le laissa pas exprimer sa surprise verbalement : un miroir apparut devant la pipelette du moment et, si notre associé défendu crut l'espace d'un instant que Willow s'en sortirait juste avec une joue aplatie, cela fut bien vite démenti quand il le vit.... Traverser le miroir. Littéralement. Là, c'est le moment où n'importe qui ferait les gros yeux, surtout quand un gosse se tenait là où aurait dû se trouver un adulte. Sans doute qu'il avait l'air un peu bête alors qu'il fixait cet enfant, choqué, mais entendre un « aide-moi » le tira quelque peu de son état de stupeur. C'était pas vraiment le moment de se laisser de déstabiliser, surtout maintenant qu'un membre du duo avait rajeuni. C'est avec toute l'assurance dont il était capable qu'il posa doucement la main sur son crâne.

-Ça ira, on va trouver une solution.

Willow fixa ensuite ses mains et eut un mouvement de recul, qui intrigua Sora. Il ne voyait rien de particulier.
Son faussement jeune de vis à vis continua alors la discussion, sans doute pour se changer les idées. Ses paroles étaient bien mystérieuses.

-Le mien.... Alfic est aussi une Chain. Je lui dois beaucoup, elle est à la fois une mère, une sœur et une amie pour moi. Sans elle, j'en serais encore à ressasser le passé. Son regard descendit alors vers le sol, il n'était pas fier de celui qu'il avait été durant cette sombre période. Mais il remonta rapidement les yeux vers ceux de l'autre contractant, se leva et reprit leur marche tout en reprenant parole. Tu as parlé d'une vengeance, mais quelle est-elle ?

Étrangement, Sora sentait que la réponse à cette question était comme une clé pour comprendre Willow.






Pfiou, ils avaient fait leur quota de sport de la semaine, là. Alfic aimait bien jouer à la bagarre comme le faisaient les jeunes fauves mais là, ça n'avait pas été la même chose. Ses muscles protestaient au moindre de ses mouvements maintenant, gé-nial. Ah là là, mais pourquoi donc avait-il fallu qu'ils finissent dans cet endroit étrange, et pourquoi donc son comparse avait été un tel boulet, qu'avait-elle fait pour mériter ça.. La première chose que la tigresse fit en ressortant du miroir, fut de soupirer bruyamment en s'étalant comme une carpette sur la pelouse. N'empêche, le chien-loup avait eu de la chance qu'elle ait été là pour le seconder, sinon il ne s'en serait jamais sorti. Elle l'avait sauvée, c'était le cas de le dire... Comment ça, elle prenait la grosse tête ? Pas du tout, elle était réaliste !
Quand son semblable vint vers Ally, visiblement tout content, elle sourit et se mit à essayer de porter sa patte jusqu'à sa truffe pour l'embêter. Oh, ils sortaient d'une dure bataille, ils avaient bien le droit de se détendre un peu !
Mais au bout d'un moment, elle sentit que l'air s'alourdissait petit à petit. Cela la fit stopper net tout mouvement, tous les sens en mode alerte générale. Il se passait quelque chose d'étrange, elle n'aimait pas ça... Mais alors qu'elle allait se tourner vers son camarade, une intense douleur la saisit. Quand celle-ci passa enfin, elle se rendit compte qu'elle s'était transformée en toute jeune fille. De ses grands yeux bleus à la fois étonnés et effrayés, elle fixa ses mains.

-Mais... Que se passe-t-il ?

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