La journée était belle. Si belle que ne pas la vivre aurait été un sublime gâchis. Durant quelques illustres minutes, le chain s'était proposé pour rendre visite à sa désormais copine. Non pas qu'il la considérait comme tel, que quelque chose avait subitement changé entre eux deux. Ça non, Michiyo restait Michiyo, il n'avait aucune raison de le traiter d'une quelconque autre manière. En était-il seulement capable après tout, lui qui n'avait connu l'amitié et l'amour qu'à travers d'innombrables ouvrages littéraires ? Non, il ne modifierai guère sa façon de faire.

Néanmoins, une question s'était posée par la suite. Il craignait de déranger. Oh lui, cet homme sans gêne, sans précepte et autre appréhendait les devoirs d'une femme. Naaru devait avoir considérablement changé pour songer à pareille chose. Ce furent donc ses pas qui le guidèrent d'ors et déjà vers sa prochaine destination. La forêt. Il y passait le plus clair de son temps, et la compagnie des arbres lui était cher. Escalader leurs longues ramifications pour visualiser le monde d'un autre point de vue était rafraîchissant, de même que sentir le vent sur sa peau à une plus haute hauteur. Il avait aussi le plaisir de faire face aux plus légers caprices de mère Nature. Une pomme tombée par-ci par-là, parfois sur sa tête, parfois au sol. Avoir la curieuse impression d'être observé du haut de son perchoir par quelque minuscule animal. Tantôt se retrouver avec un écureuil dans les bras, lui-même assoupi par le calme de ces vertes contrées. Naaru ne se sentait pas chain ici, et personne ne le lui faisait remarquer. Les animaux l'appréciaient, tout comme lui les observait. Cet échange commun le rendait plus libre.

Inspirant une grande goulée d'oxygène, le chain se posa sur une haute branche d'un chêne probablement aussi vieux que lui. C'était un de ses arbres favoris. Il avait l'impression de pouvoir tout partager avec lui au cours de leurs longues discutions silencieuses. C'était le seul endroit où ce turbulent chain endossait le rôle de vieil ermite. Lorsqu'il rentrait en ville après plusieurs heures passées ici, il lui fallait un moment d'acclimatation, et il pouvait tout aussi bien garder le silence pendant plusieurs heures, à condition qu'aucune compagnie connue ne se présente. Auquel cas, la donne serait passable de changements conséquents.

Cependant, si une petite heure s'écoula ainsi, bientôt Naaru trouva le silence accablant. Aucun animal rongeur ne parcourait la cime de cet arbre, aucun oiseau non plus. Il n'avait pas le plaisir d'entendre ce martèlement incessant provoqué par le pic épeiche, ni même les innombrables chants du couple de merle basé un peu plus haut. Cela était sans doute dû à l'approche de l'automne, mais pour le coup, Nana trouva ce silence fort déplaisant. Descendant habilement de son haut piédestal, il décida de se diriger vers quelqu'autre endroit, plus sympathique et amène à recevoir son humble présence. Soupirant doucement, le bruit de l'eau se fit entendre. Un ruissellement calme et tranquille, ponctué par quelques chants d'oiseaux. C'était un bon endroit. Le sourire du brun s'allongea et ses traits se détendirent instantanément. Il se dirigea sans peine vers le pont et posa ses mains sur ce dernier pour observer l'écoulement du grand ruisseau. En relevant légèrement la tête, le brun aperçu le corps d'une jeune femme adossé à un arbre. Elle donnait l'air de s'ennuyer, à envoyer ses cailloux dans l'eau non loin. Naaru ne l'interpella guère. Le bruit en lui-même n'était pas déplaisant, et à vrai dire pour une fois dans sa longue vie, le chain désirait un peu de calme. Cela le rendait aussi considérablement plus posé. Son regard était doux, à moitié concentré sur un point vague de l'horizon. Il posa sa main en appui-tête et scruta cette demoiselle.

Puis, cette dernière se mit à cracher du sang, mais le chain ne bougea pas d'un centimètre, continuant à la fixer du haut de son mètre quatre-vingt. La demoiselle n'avait pourtant plus si fière allure. Elle n'était pas à l'aise ici. Un léger coup de vent fit comprendre au chain qu'il était fasse à la même espèce que lui. Cela le fit considérablement grincer des dents. Non pas qu'il détestait ses semblables. Ça non, il se considérait aussi maudit qu'eux. Mais qui sait si cette personne pouvait le déranger dans son calme intérieur, dans sa transe quasi totale avec la Nature. Il soupira, démasquant sa présence. Ce ne fut pourtant qu'après quelques longues secondes de silence que la jeune chain aux cheveux noirs se décida à hausser la voix. Sans masquer un instant la dérision totale de cette drôle de question, Naaru laissa échapper un rire fluet et faiblement amusé. Sans délaisser son masque de calme et d'avenant personnage, il se contenta de répondre par ces mots :

-Nul besoin de te mettre sur la défensive. Après tout, nous sommes de la même espèce.

Une dizaine de mètre devait les séparer, mais curieusement Nana ne fit pas le premier pas. Planté sur ses deux échasses, elles-même posées sur le bois usagé du pont, le chain détourna rapidement son regard de la source de ces paroles. Avec un peu de chance, elle se détournerai et ne songerai plus à lui. Avec peu de chance, très probablement. Tout du moins ne prendrait-elle pas peur. Elle semblait bien craintive de sa personne. Peut-être était-elle toute jeune. Pas encore habituée à ce genre de vie. Sans doute venait-elle à peine de sortir de l'Abysse. Naaru s'était trouvé perdu durant les premiers jours, mais avait rapidement trouvé le réconfort auprès de personnes de confiance et du calme des lieux. Sans doute parviendrait-elle à trouver un réconfort ici même.

-Je m'appelle Naaru.

Le chain ne lui retourna pas la question. Elle était libre de répondre comme elle l'entendait. De dériver sur un autre sujet, de le quitter sur-le-champ, de s'approcher ou de l'attaquer. Quoique, Nana n'était pas grand partisan pour cette dernière alternative. Non pas qu'il craignait pour sa vie. Il avait affronté pire personnage, à vrai dire. Néanmoins, se fier aux apparences d'un chain était une très mauvaise idée. Concentré sur l'eau, Naaru observa à travers la clarté de cette dernière le passage d'un minuscule poisson, lui tirant une expression nostalgique.

Le regard penché vers l'écoulement de la rivière, ses yeux avaient fini par se refermer. la simple entente des bruits environnants suffisaient à le calmer, à produire une sorte de sérénité intérieure. Cet endroit était sans nul doute magique. La majeur partie des personnes l'ignoraient simplement. Les hommes avaient perdu contact avec la nature, et cela les rendait parfois agressifs et turbulents. Nana, qui avait perdu ce lien depuis son plongeon dans l'Abysse, le ressentait au fond de lui lorsqu'il se dirigeait vers la forêt. Voilà pourquoi il y passait le plus clair de son temps en dehors des missions. Non, Naaru n'était pas un chain sanguinaire. Ou disons plutôt qu'il possédait deux caractères distincts. L'un, de sa vraie forme, était un assoiffé de guerre et s'amusait à faire couler le sang, et l'autre, sans pour autant désirer le pacifisme, s'intéressait aux choses du quotidien. C'était sa partie humaine.

Après quelques instants de pur silence, la demoiselle se décida à poursuivre la discussion. Sans relever les yeux, Naaru tenta de se remémorer ce visage. Arya. De loin, il n'avait guère pu voir grand chose, mais il se souvenait avec exactitude de ses cheveux noirs et de ses yeux presque semblables aux siens. Il jalouserai même leur couleur davantage émeraude que les siennes. Après tout, en fonction de l'éclairage, les yeux du brun pouvaient virer au jaune, délaissant leur bel éclat vert pour se fondre dans les teintes ensoleillées. Mais cette chain, elle, gardait cette luminescence originelle. Peut-être même était-ce sa véritable forme, tandis que lui arborait les prunelles sanguinaires et de fins cheveux blancs. Naaru n'appréciait pas particulièrement sa forme de chain, mais cela ne l'empêchait pourtant pas de l'utiliser sans aucune retenue.

Face à ce nouveau silence, le chain décida de poser son regard sur la dénommée Arya. Non, il ne s'était pas trompé, elle possédait vraiment ce visage particulier. En revanche, il s'attarda sur d'autres détails. Elle semblait frêle, pour une demoiselle voir pour une chain. Elle n'avait pas spécialement l'air offensive. Au contraire, c'était plutôt la défensive qui la décrivait le mieux. Inspirant profondément, le brun ne prononça mot même si plusieurs questions lui venaient subitement en tête. On ne changeait pas sa nature par un coup de baguette magique.

Par la suite, Arya lui posa une drôle de question. S'il souhaitait discuter ? C'était la première fois qu'on lui laissait le choix. Il fallait dire qu'en temps normal, c'était plutôt à Naaru de poser les questions et non l'inverse. Il s'était rarement fait aussi distant vis-à-vis d'une autre personne. Pourtant, la faute ne revenait pas à cette jeune femme. Il en était l'unique responsable. Doucement alors, le brun se détourna de son pont et marcha lentement jusqu'à la dame. Un sourire radieux posté sur son visage, il s'accroupit à un petit mètre d'elle et posa sa main en appui-tête, avant de s'exprimer.

-Tu ne peux pas bouger. C'est fâcheux, moi qui pourrait t'attaquer si facilement. Mais je ne suis pas de cette espèce. Et pourquoi t'est-il impossible de te lever ? Es-tu trop tétanisé par ma présence ?

Evidemment, il n'y avait aucune méchanceté dans ses paroles. Naaru était connu pour sa taquinerie parfois excessive. Mais Arya n'était sans doute pas censée le savoir. À cela le chain se décida de pouffer avec légèreté. Son regard fusillait pourtant le regard adverse. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle était une chain. Et ça changeait beaucoup la donne. de plus, ces yeux l'obsédaient presque. Il réduisit l'espace entre eux deux et posa une main sur la joue pâle d'Arya, avant de finalement énoncer ses paroles à voix haute.

-Tes yeux sont magnifiques. C'est inhumain.

Ce n'était pas dans ses habitudes d'être ainsi obnubilé par quelque chose, mais d'autre part, Naaru avait toujours été attiré par le vert. Et ce vert là était particulier. Terriblement attirant. Et puis, le chain retira sa main presque brusquement. Il repensait à ces cheveux couleurs azur, à ces yeux aussi profonds qu'un océan. Non, le vert n'était pas sa couleur favorite. Le bleu l'était. Ce bleu encore plus pur que le blanc. Cette peau nacrée et ces lèvres si attirantes. De nouveau, Naaru pouffa doucement. Jamais au grand jamais le chain n'avait été aussi amoureux d'une femme aussi belle et pleine de caractère. Il adorait Michiyo de tout son être, pour sûr.

Discuter, discuter, oui mais pour parler de quoi ? Il y avait une infinité de sujets de discutions. Certaines dont Naaru ignorait même l'existence. Pourtant, lorsque la demoiselle nommée Arya lui avait proposé de discuter, il n'avait aps rechigné à l'offre et s'était approché d'elle. Il était loin d'être un garçon associal, et préférait discuter avec quelqu'un plutôt que de le regarder de loin. C'était un homme plutôt extraverti en vérité. Ce qui, paradoxalement, n'avait pas l'air d'être le cas d'Arya. Sa morphologie, sa façon de se mouvoir - qui semblait pourtant limitée dans l'instant - et sa manière de s'exprimer reflétait ce trait de caractère. Mais Naaru n'aimait pas poser des clichés sur les gens. Il ne pouvait pas les connaître par sa simple vision subjective. Certes, le chain s'était beaucoup renseigné et s'intéressait de près à la psychologie humaine. Il adorait s'amuser à deviner tel ou tel trait de caractère à travers une mimique ou autre. C'était un continuel jeu pour lui. Néanmoins, quelque chose clochait, puisqu'Arya n'était en aucun cas une humaine.

Pour réveiller un peu la demoiselle, Naaru décida de la taquiner. Oh, c'était tout à fait habituel. Il taquinait à peu près tout le monde, et en fonction du type de réponse, il parvenit à se faire une idée plus ou moins vague de son interlocutrice. Là, les mouvements faciales lui suffirent. Oh, ce regard hautain. La jeune femme paraissait soudainement moins fragile, mais ce n'était pas par ce simple regard qu'elle impressionnerai d'une quelconque manière le chain face à elle. Oh non, il n'y avait pas trente six manières de faire peur au chain. Mais elles n'étaient pas pour autant connues de n'importe qui. L'une consistait à agiter un millier de sucreries sous son nez. En général, il fuyait la queue entre les pattes et les oreilles basses. Bien sûr, le bonbon qu'avait ingurgité la demoiselle quelques minutes plus tôt ne lui était pas inconnu, mais puisqu'il était à présent dans sa bouche, Naaru en déduisait qu'il n'avait aucune raison de s'en faire. Voilà pour la petite histoire.

Peu après, elle se décida à lui répondre. Quelle réponse. Une santé fragile, pour une chain ? C'était nouveau. En général, les chains se trouvaient au contraire assaillis de multiples avantages par rapport aux humains. Naaru était particulièrement décalé des humains. En mettant de côté sa vie antérieure pour des raisons évidentes, il s'était réveillé sous forme de chain et ne s'était jamais considéré autrement dans l'Abysse. Il avait perdu la notion du temps, de la nécessité de se nourrir, des émotions et des sentiments. Sa forme était la seule chose qui le rattachait à l'humanité. Et puis, lorsqu'il était remonté à la "surface", tout avait changé. Il s'était intensément documenté sur les hommes et leur façon de s'exprimer, les expressions faciales et, à force de les imiter, avait fini par retrouver des sensations perdues. Pour en revenir à Arya, Naaru trouvait vraiment étrange qu'elle paraisse autant démunie alors même qu'elle avait dû vivre le même enfer que lui. L'Abysse était une sorte de... loi du plus fort. Pour survivre, il fallait se battre. Les plus faibles y laissaient la vie, si l'ont pouvait dire. Cela l'intriguait. Mais sortir cette demande de but en blanc n'était pas des plus recommandé.

-J'en suis rassuré. Eh bien, une santé fragile pour un chain ? C'est inhabituel. La vie ne doit pas être facile.

Non, elle ne devait vraiment pas l'être. Il se demandait comment Arya faisait pour ne pas se trouver effrayé par rapport à lui. Après tout, elle ne pouvait pas bouger. Il lui suffirait d'user de son pouvoir et cette demoiselle pourrait n'appartenir plus qu'au passé. Ce qui ne laissait plus que deux solutions. Soit elle mentait, soit elle tentait de faire la fière, soit encore elle cachait la vérité. Ce qui, au final, proposait trois alternatives plutôt que deux. Enfin, qu'importe, cela suffisait à Naaru pour se programmer une idée de son vis-à-vis.
par la suite, le chain s'était intéressé à la couleur de ses yeux. Ah ce vert. Plus beau que le sien. Plus intense et plus pur. Il en jalousait très certainement. D'autre part, il tâchait de se rassurer sur d'autres points. Ses prunelles changeaient de couleur en fonction de sa forme. Et même s'il n'appréciait guère cette dernière forme, elle n'en restait pour le moins une partie de lui. Et là, ses yeux prenaient la couleur du sang, luisants, profonds. Ils rendaient mal à l'aise, sondaient l'esprit lorsqu'ils fixaient quelqu'un. Les pupilles rétrécissaient, cinglantes, comme pour revêtir une apparence de démon. Quelque part, il en était fier. Et puis d'un autre côté, parfois il s'en voulait d'avoir l'air aussi carnassier. Voilà pourquoi il affichait constamment ce sourire sur ses lèvres. Néanmoins, pour l'instant tout du moins, Nana restait aussi calme qu'une image. Loin d'user de sa forme de chain, il préférait se montrer sous sa forme humaine, ce joli brun aux yeux émeraude.

En retirant brusquement sa main, Naaru eut droit à un visage rouge. Décidément, les femmes étaient toutes les mêmes. Un regard fixe, un contact entre leurs peaux fines et paf, c'était tout le système qui s'emballait et cela se réflétait sur leurs visages. Nana ne détestait pas cela. Au contraire, elles en devenaient plus charmantes. plus amènes à se confier. Sauf elle, sans doute. Après tout, comme elle l'avait si bien dit, elle n'était pas humaine. À cette entente, le regard du chain se fit désolé. Il avait l'impression de retomber sur sa personne un an auparavant. Il était passé par-dessus, et même s'il ne considérait aujourd'hui encore pas comme un humain à part entière, il tâchait tout du moins de se fondre dans la masse, quitte à avoir l'air d'un humain atypique. Enfin qu'importe, il n'allait pas lui faire la morale, même si elle le lui demandait. Ce n'était pas sa tâche, et puis il n'en avait guère l'envie.
Néanmoins, il écouta la suite du dialogue avec attention. Le premier à aimer cette couleur ? Il se demandait comment. Ils étaient vraiment magnifiques, comment pouvait-on les détester ? Ils pouvaient certes paraître un peu rudes au premier coup d'oeil, un peu cinglants et juges, mais lorsqu'on apprenait à se défaire de cela, on pouvait vraiment les apprécier. Un beau sourire et n'importe quel regard s'adoucissait. Ce n'était pas tant le regard qui étiat effrayant, mais surtout le tout.

Remarquant que la discussion n'avait pas tant l'air de l'enchanter, Arya finit par poser une autre question, qui déclencha aussitôt un lourd soupir de la part de Naaru. Si ça lui plaisait d'être chain ? Comment était-on censé répondre à ce genre de question ? S'il était heureux d'avoir passé il ne sait combien d'années dans un trou pourri à survivre chaque jour davantage pour au final ne récolter qu'une journée de plus ? Non, non, il détestait l'Abysse de tout son être. Avait-il eu le choix ? Il se le demandait souvent. Mais pour cela, pour trouver cette réponse, il devait fouiller son passé. Et ce n'était pas encore prévu dans son programme pour les cent prochaines années. Par la suite, elle précisa sa question, qui au final s'éloignait du sujet. Sa vie ? Il dissociait nettement sa vie de chain et sa vie. C'était deux antipodes. Sa vie de chain se limitait souvent aux combats qu'il devait livrer avec son contractant. Il y trouvait du plaisir, certes, comme tout chain. Néanmoins, sa vie n'en finissait pourtant pas là. Derrière le chain, il y avait l'ami, l'ennemi, la connaissance, l'amant. Tant de choses qui n'auraient pu être possible s'il ne s'était pas mêlé à cette populace humaine. Enfin... après avoir longuement réfléchi à la question, Naaru se décida à synthétiser le tout dans une réponse claire et rapide.

-Ce sont deux questions différentes. Je n'ai pas choisi d'être chain ou non. Quant à ma vie, elle me rend heureux oui. Je vis auprès des hommes, et cela suffit à rendre chaque seconde plus intéressante que l'autre. Chaque jour passé ici m'éloigne du pas de l'Abysse. Je n'en oublie pas ma condition, mais elle ne m'obnubile plus autant qu'avant.

En détournant un instant son regard vers la cime de l'arbre, le chain inspira profondément, avant d'ajouter et se recentrant sur la demoiselle.

-Pour avoir une telle question, ce ne doit pas être ton cas. Je ne t'ai jamais vu par ici. Tu viens d'arriver ?

Si oui, cela pouvait expliquer bien des choses, et Nana ne pourrait que laisser le temps modifier l'aspect du monde qu'à cette femme.

La petite rivière était tranquille. Il ne pleuvait pas, elle n'avait aucune raison de sortir de son lit. Si Naaru avait pu un jour choisir son pouvoir, il aurait aimé manipuler l'eau. Cet élément qui lui échappait tout le temps et qui pourtant suivait inlassablement le chemin qui était tracé. Il n'était pas aussi libre que l'air ni même plus effrayant que le feu, mais il cachait bien son jeu. Il était en mesure de noyer n'importe qui, mais paradoxalement de rééduquer quelqu'un. Nana s'intéressait fortement aux éléments, parce qu'ils étaient plus forts que n'importe qui et n'importe quoi. L'un contre l'autre, ils pouvaient se tuer, mais ensemble ils devenaient indestructibles. C'est en quelque sorte sur cette définition que Nana avait basé sa propre définition de l'amour. Mais il ne le dirais jamais à Michiyo, parce que c'était sans doute trop abstrait pour elle.

Quoiqu'il en soit, le silence qui régnait alors fut en un instant troublé. Un cri de la demoiselle alerta le jeune homme qui tourna vivement la tête vers elle. Néanmoins, il ne vit rien. Rien qui soit tout du moins assez grosou susceptible de l'effrayer. Quoique. Il ne la connaissait pas, et sa propre peur des bonbons suffisait à prouver la variété quasi infinie de peurs existantes. Pourtant, alors que Naaru crut se prendre une violente baffe, ce ne fut en fait qu'un geste purement réflexe de sa part. Il n'eut presque pas le temps d'apercevoir la minuscule arachnide postée sur son doigt. Se retournant vers Arya, le chain poussa un soupir à fendre l'âme. Il s'était mis sur ses gardes pour une araignée. L'ironie résidait dans ces simples mots. Le brun n'avait pas peur des araignées. Pour vivre quasiment toutes ses journées dans les arbres, il lui fallait bien faire face à ces quelques petits désagréments. Néanmoins, il ne rit pas. Au contraire, il offrit ou sourire doucereux à la dame aux cheveux foncés et pencha légèrement la tête sur le côté.

-Tu es bien raffinée comme jeune demoiselle.

Peut-être était-elle plus âgée que lui. Il n'en savait rien. Pour un chain, le temps n'avait plus vraiment d'importance. On gardait l'âge qu'on avait lorsque... lorsque l'on était devenu chain et puis les journées s'écoulaient en se ressemblant constamment. Enfin, ça c'était avant de sortir de l'Abysse. Ce nouvel endroit, le véritable monde, semblait bien plus attrayant et amusant. TOut du moins Nana le pensait-il très fort. Et cela se ressentait dans sa façon de rire et de sourire. Par la suite, Naaru demanda alors si elle venait à peine de sortir de l'Abysse. Elle ne semblait pas vraiment familiarisée avec le climat environnant, alors le chain en avait la puce à l'oreille. La réponse fut aussi étrange que la question.
Dans un premier temps, oui elle avait répondu à sa question. Quelques mois. Le chain s'étonna de son manque de réactivité sur ce nouveau monde. Comment pouvait-elle rester de marbre face à ce genre de scène qu'offrait par exemple le soleil chaque matin ? Naaru trouvait ça tout bonnement fantastique. Mais bon, ce n'était pas non plus la première fois qu'il voyait un chain désabusé. Le monde l'avait sorti de sa carapace.

Elle habitait loin. Que faisait-elle là alors, toute seule. Personne pour l'accompagner, pour veiller sur elle ou la surveiller qu'importe. Bon, il était vrai que Nana était lui-même un chain très indépendant, et parfois il se disait qu'il ne remerciait pas assez son contractant pour ça. Après tout, ils étaient liés à la vie à la mort, et vu l'attitude casse-cou du chain, on était en droit de réfléchir à deux fois avant de le laisser bivouaquer à droite à gauche. Bref. Un mot resta planté dans les oreilles du brun. Seule ? Comment ça, seule ? Pour venir ici, elle avait bien dû passer par un intermédiaire, non ? Comment était-ce possible ? Elle ne pouvait pas avoir inventé cette histoire de toute pièce. Ce serait un comble. Le chain ne put maintenir cette brûlante question et répliqua dès la fin de son court monologue.

-...Seule ?

Réalisant alors seulement que la demoiselle n'était pas dans son cerveau, et que par là même elle ne pouvait pas forcément comprendre le fond de sa pensée, Naaru attendit quelques instants avant de chercher ses mots et de préciser.

-Je veux dire, tu n'as pas de contractant ou autre ? Personne à qui parler ?

C'était triste. Naaru était bavard de nature, enfin en général. Disons que le mutisme n'était pas son fort et que cela était un mauvais signe lorsqu'il se produisait. En tout cas, ce problème de contractant l'intéressait aussi au plus haut point. Non pas qu'il souhaitait se débarrasser du sien. En fait, c'était avec lui que la bonne majorité des délires se déroulaient. Seulement, c'était à la fois impossible et inconcevable pour lui de se retrouver perdu dans ce monde sans avoir ne serait-ce qu'une seule personne à qui parler afin de pouvoir au moins se repérer. Troublé, le chain se releva et fit quelques pas jusqu'à se retrouver au bord de la rivière. Là, il plongea ses pieds nus dans l'eau et apprécia cette fraîcheur en poussant un soupir d'aise.

Ah, discuter. Naaru ne jurait que par ça. Discuter, ça permettait beaucoup de choses. Ça déliait les langues, fatalement, mais ça apprenait aussi. Ça contait et racontait. Les pires rumeurs pouvaient circuler sur les discutions entre personnes. Le langage était une chose magnifique. Un concentré de hasard. Une fois, le chain s'était renseigné sur le sujet. Il se souvenait avoir passé sa journée à délibérer sur deux ouvrages aux idées diamétralement opposés. Naaru pouvait somme toute devenir un grand philosophe aux vues de sa culture générale époustouflante. Qu'importe, il trouvait donc le langage fort intéressant. Certains le pensaient don de Dieu ou plus précisément spécifique aux seuls êtres humains. D'autres croyaient que le langage se trouvait partout, en chaque être mais sous une forme différente. Le langage humain restait en tout cas le plus complexe, à même de pouvoir exprimer des idées abstraites. Il restait néanmoins à se renseigner sur la base de ce langage. Avait-il évolué avec le temps ou bien était-il dans nos gênes à la création du monde ? De beaux sujets philosophiques que Naaru ne développera pas ici même au risque d'y passer la nuit et probablement la journée qui suivra.

Quoiqu'il en soit, les pieds dans l'eau, le regard penché sur cette surface plane, profonde et translucide, Naaru songeait. Il songeait souvent, en haut de ses arbres ou mille pieds sous terre. Ça lui arrivait plus souvent qu'on ne le pensait, mais en général cela se produisait en l'absence de monde. Il avait besoin de silence comme seule amie. Son sourire disparaissait alors et il fermait les yeux en se concentrant sur la langue du vent. C'était un bel exercice pour comprendre la profondeur du monde environnant. Les humains n'y faisaient plus attention. Concentrés sur leurs journées, leur travail et leurs relations, ils en oubliaient le fondement même de leur société. Oh, Naaru ne prônait pas un retour radical aux sources, ni ne se penchait un instant sur le devenir des plantes. Il s'émerveillait simplement sur les choses de la vie, jour après jour. Et rien n'attirait autant son regard qu'un bousier traversant une route, ignorant le danger qui pourtant pourrait lui être fatal, ou bien cette adventis poussant entre deux murs avec trois monceaux de terre pour seule source minérale. Pourtant, Naaru avait appris le nom du bousier dans les livres, livres écrit par les hommes. Non, les humains n'étaient pas mauvais.

Un bruit dans son dos ranima le chain. Sans se retourner, ses yeux se rouvrirent doucement, s'habituant une nouvelle fois au rayonnement du soleil. Les arbres, ici, ne leur faisaient plus d'ombre. Il se demandait si Arya le quitterai sous peu. Non pas qu'il détestait sa présence. En fait, elle lui était même bénéfique. Il n'avait plus vu de chain autrement qu'en mission depuis des temps immémoriaux. C'était à se demander s'il en existait toujours. Force fut de constater que c'était encore le cas. Le mouvement se fit sur sa droite, mais Nana ne tourna pas la tête ni même le regard. Il fixait l'eau, comme si son reflet était en mesure de lui donner quelque chose, une quelconque information. Mais il n'y avait rien de plus que son visage, ondulant sur le courant mais figé dans le temps. Il repensa au sourire que lui avait lancé Arya quelques minutes plus tôt. Il la trouvait bien plus mignonne ainsi. Cependant, il s'était bien gardé de le dire. Apparemment, elle n'avait pas l'air de tant l'apprécier. Et malgré tout... c'était elle qui s'était placée à ses côtés, plongeant elle aussi ses pieds dans l'eau. Le chain releva un de ses pieds, jaugeant la chaleur de l'eau avec la température externe, avant de se raviser et de laisser ses pieds bouger au rythme du courant.

Arya lui fit alors part de sa réponse, qui avait certes tardée. Une excuse. Allons bon, pourquoi s'excusait-elle. C'était bien la première fois qu'il l'entendait s'excuser. Ce qui était assez hors contexte, en vue du regard qu'elle avait pris l'habitude de lui jeter. Enfin, Nana n'y accordait pas grand intéret, habitué plus que de mesure à ces fixations dérangeantes. En général, lorsque les gens remarquaient l'attitude totalement détachée du chain, ils finissaient par se montrer plus souple à son égard. Qu'importe, dans l'instant les mouvements du brun dans l'eau se stoppèrent. Toujours concentré sur son reflet, il restait bloqué sur les paroles de la demoiselle. Il tourna enfin la tête, perturbé, et ouvrit de grands yeux subjugués. Avait-il vraiment bien entendu ? Non, il ne doutait pas de sa parole. Aucunement même. Mais cela le troublait considérablement. Elle était seule, soit. Mais le pire c'est qu'elle ignorait totalement la signification d'un contractant. C'était... comment dire, aussi logique que d'affirmer savoir respirer sous l'eau. C'était tout à fait impossible. Sans vraiment y réfléchir à deux fois, Naaru demanda une nouvelle fois confirmation.

-Tu... ne sais pas ?

Juste avant de se rendre compte qu'il y avait bien évidemment une façon de se rendre ici sans l'intervention d'un tiers. Les failles de l'Abysse. Phénomène rare et pourtant existant. Naaru n'en avait vu que deux, et c'était à chaque fois pour conclure un pacte. Il ignorait qu'il était possible de s'en sortir sans contractant. Mais cette dame en était l'exemple pur. Se ressaisissant, le chain décida d'expliquer sa situation.

-Eh bien, c'est en quelque sorte grâce à un contractant qu'il est possible pour un chain de sortir de l'Abysse disons... de façon légale ?

Le ton interrogatif vers la fin laissait songer qu'il n'était pas tout à fait certain de ce qu'il racontait. Il pouvait juste affirmer avec véracité être lié à la vie à la mort avec un humain. Le reste restait flou et en vérité il ne s'était jamais posé la question. Néanmoins, en s'exprimant de la sorte, il considérait Arya comme une chain extirpée de l'Abysse de façon illégale. Certes, c'était le cas. Il ne savait pas trop ce qui risquait de lui arriver, mais quelque part, il enviait sa situation. Se faire des connaissances n'était pas si difficile que ça. Mais il aurait tant aimé avoir la liberté totale. Son contractant n'était pas mauvais. Il le laissait faire tout ce qu'il voulait. Mais voilà, il restait lié à lui. Un ordre de sa part, et le chain se devait de lui obéir. S'il le voulait, Finn pouvait sceller ses pouvoirs aussi longtemps qu'il le désire. Il était tombé sur un bon maître, certes. Mais rien ne valait la vraie liberté.

-Tu as de la chance de pouvoir l'ignorer. Un contractant est un humain avec qui tu es lié corps et âme. Un seul ordre de sa part, et tu peux finir enchaîné.

D'un autre côté, il était heureux d'avir connu son contractant, de pouvoir rire et se chamailler ainsi tous les soirs avec lui, d'avoir quelque part où dormir et un allié certain en toute circonstance. Deux amis de fortune, en somme. Il ne savait plus trop quoi penser. Un silence s'installa, bien vite coupé par un léger rire. Arya avait aussitôt repris son aspect strict. Alors, Naaru ne put s'empêcher de rire à son tour en ajoutant, amusé.

-Tu n'as pas besoin d'être aussi rigide et froide avec moi tu sais. À choisir, je préfère te voir souriante.

Il appréciait toujours plus une belle femme souriante que froide.

Ce manque de connaissance effrayait quelque peu le chain. Ses pieds se balançant au fil du courant, il restait songeur. Ne pas savoir ce qu'était un contractant. C'était peu commun pour un chain infiltré dans ce monde. Tout ceux qu'avait croisé Naaru n'avait été rien d'autre que des chains liés à des contractants. La plupart, il avait dû les éliminer. Les autres, il n'en gardait que peu de souvenirs. En vérité, si l'Abysse foisonnait de créatures, en revanche, peu d'entres eux ne possédaient ne serait-ce que le pouvoir de la parole. Ils ressemblaient souvent à des animaux, ou des vestiges tout du moins. Parfois croyait-on qu'ils n'étaient rien d'autre que des objets animés. Dans l'ensemble, Naaru se comptait parmi l'un des seuls à garder cette apparence humaine quoiqu'il arrive. De sa longue vie, le chain ne se souvenait que de quatre visages, dont celui d'Arya ici présente. Et encore. Ce n'était pas si commun. Pas aussi commun que les jouets et chains de bas étage. Oui, Naaru se considérait volontairement comme quelqu'un de puissant. Après tout, il ne serait pas de ce monde si ça n'avait pas été le cas. Les conflits, il en avait essuyé plusieurs, et en était toujours sorti gagnant ou avait-il tout du moins réussi à s'échapper.

Qu'importe, toujours est-il que le brun ne put s'empêcher de formuler sa pensée à haute voix. Et évidemment, cela n'échappa guère aux oreilles d'Arya, qui s'approcha subitement de son visage et le fit reculer de quelques centimètres, surpris. Son sourire angélique ravit notre jeune chain qui lui en renvoya un aussitôt, toujours perturbé. La phrase qu'elle ajouta décontenança notre grand brun. Elle assumait le fait de ne pas savoir. Elle n'y connaissait vraiment rien en matière de contractant. C'était surprenant. Sa petite question acheva Naaru qui, pris une nouvelle fois au dépourvu, ne put s'empêcher de rire de bon cœur. L'esprit subitement léger, il passa une main dans les cheveux noirs d'Arya et les farfouilla gentiment. Elle était plus mignonne ainsi. Même si la notion de famille n'existait pas pour le chain qui en avait perdu toute définition, Arya aurait malgré tout pu être une sorte de petite sœur. Naaru avait toujours aimé les femmes à moitié râleuse et pourtant si épanouies. Il lui envoya un sourire et leva la tête vers le ciel. Myaw aussi était de cet acabit, mais elle avait quelque chose de plus que toutes les autres femmes qu'il avait croisé.

Sans vraiment répondre à la question d'Arya, Naaru se pencha sur son explication. Tout en parlant de contractant, il pensait un peu à celui des autres chains. Tous n'étaient pas aussi gentils que le sien. Puis finalement, en s'écoutant terminer son explication, le chain se rendit compte qu'il n'avait pas tout dit. Ou tout du moins qu'il n'avait pas raconté toute la vérité. des expériences de contractant, il en avait eu deux. Deux diamétralement différents. Le premier n'avait été qu'un substitut. Un simple corps à travers lequel il pouvait se permettre toutes les folies. Ah, à cette époque, mieux fallait-il ne jamais l'avoir connu. Il était sanguinaire, à l'image de ces yeux de chain. D'ailleurs, Naaru avait emprunté sa forme humaine pour la première fois à son deuxième contrat, le légal. Avant, il n'était rien d'autre qu'un chain parmi tant d'autres, enchaînant meurtre sur meurtre pour son plus grand plaisir. Aujourd'hui, si cette époque ne le révoltait toujours pas, il ne pouvait s'empêcher de se trouver lamentable pour avoir achevé tant de vies humaines sans connaître le fondement même de ces vies.

Quoiqu'il en soit, bientôt Naaru ne tarda pas à faire remarquer à son interlocutrice qu'il préférait s'adresser à une charmante demoiselle plutôt qu'à une femme rigide. Ah, il avait toujours eu un problème avec les normes, la politesse et toute l'étiquette. Il se montrait constamment sous son jour naturel, variant au rythme de ses émotions. Au début, il avait été plutôt silencieux, mais maintenant le brun pouvait s'exprimer jusqu'à la nuit tombante. Ainsi en était-il. Si bien qu'au final, il sourit d'un air amusé face au regard moqueur de sa vis-à-vis et acquiesça.

-Oui. On se sent toujours mieux après un sourire. Et ça se transmet bien.

Même en le sachant, beaucoup de personnes se refusaient à sourire. Pourtant, Nana ne mentait pas. Le sourire se transmettait bien, et sa joie avec bien entendu. Le brun soupira. Cet endroit était bien calme. Il y avait moins d'animaux, et le vent se faisait moins violent qu'en forêt. Dès lors que le silence s'installait, on pouvait presque entendre le mouvement de la rivière. Elle était si belle, cette rivière. Certainement assez profonde en son milieu pour permettre de l'avoir jusqu'au cou au moins. Et il faisait plutôt chaud. Oui, Nana était en train de se chercher des excuses pour s'y engouffrer de la tête aux pieds. Mais avant ça, en tout taquineur qu'il était, il se devait de faire une réflexion. Alors, son regard se pointa sur ceux d'Arya et un faciès moqueur s'y installa avant de le voir s'exprimer.

-T'es aussi marrante quand tu rougis.

Et sur ces mots, sans même prendre le temps de retirer ses vêtements, il se laissa glisser tête la première dans l'eau. Ah, elle était fraîche. Vraiment fraîche mais si calme. Il ressortit alors la tête de l'eau, quelques mètres plus loin. Il avait un peu sur-estimé la profondeur. Elle devait lui arriver à mi-bassin, mais puisqu'il était assis dans l'eau, cela lui donnait l'air de n'avoir plus pied. Décalant sa longue mèche à présent mouillée de son visage, il ignora bientôt son interlocutrice pour aller barboter. C'était un gamin, et il en était fier.

L'eau était vraiment fraîche, mais ça ne dérangeait pas plus que de mesure le chain qui barbotait joyeusement dedans. Quelque part, ça devait lui rappeler l'Abysse, même s'il détestait cet endroit. Il plongea une nouvelle fois la tête dans l'eau pendant quelques secondes et ferma les yeux. Ah, il aimait tant sentir ce contact avec l'eau. Parfois même, il embêtait son contractant en restant trois heures dans la salle de bain avec la baignoire pleine. Ça le rassurait. Il ressortit alors sa tête et observa Arya un peu plus loin. Elle avait toujours ses pieds dans l'eau visiblement et elle l'observait. Il devait lui donner l'air d'être étrange. À plonger ainsi sans se soucier un instant de ses vêtements. Après tout, que risquait-il ? Tomber malade ? Quelle blague. La seule façon pour tomber malade, c'était de se faire pourfendre en deux par une arme. C'était rare, et l'eau n'avait pas cette capacité-là. Alors ça ne le dérangeait pas.

Alors, la remarque de la demoiselle fit rire le jeune homme. Elle ne savait pas nager ? Mais elle ne risquait strictement rien ici. Elle devait avoir pied, sans aucun doute. Véritablement amusé, Nana explosa de rire, si bien que cela le fit une nouvelle fis tomber à la renverse. Pourtant, il continua à rire sous l'eau, quitte à extirper totalement l'air de ses poumons. Il s'amusait beaucoup, comme avec tout le monde. Mais cette dernière était vraiment marrante. Quelque part, il devait apprécier de vexer les gens. Plus il les voyait renfrognés, plus il rigolait et souhaitait encore plus se moquer. C'était ainsi.

Cette fois-ci, au lieu de rester assis dans l'eau, il se releva entièrement, si bien que son haori apparut quasiment entièrement. Il mit ses mains sur ses hanches et continua à rire avant d'ajouter, se calmant difficilement.

-Voyons. Il y a nager et nager. Mais à cette profondeur, c'est davantage barboter.

Et sur ce, il repartit de plus belle. Le vent sur ses vêtements mouillés lui provoqua un léger frisson, si bien qu'il décida de se rasseoir dans l'eau, avant de finalement changer d'avis et de se retrouver sur la terre ferme. Naaru retira alors son haori et son haut. Il les épongea au-dessus de l'eau et les posa à côté de lui de façon à ce qu'ils sèchent plus rapidement. Il s'occupa également de ses cheveux puis, tout torse nu qu'il était, il s'étira et bâilla doucement. Ah, si ça ne tenait qu'à lui, il irait monter sur un arbre et somnolerait jusqu'au lendemain. Mais voilà, Nana était un hyperactif quand il voulait, et il se sentait aujourd'hui l'âme d'un vrai marathonien. Cette balade dans l'eau l'avait revigoré de la tête aux pieds, et son passage un peu mélancolique et nostalgique n'était qu'un lointain souvenir. Le chain Naaru Irwin était de retour et prêt à faire n'importe quoi. Tiens oui, vraiment n'importe quoi. Ça lui donnait une idée.

-Puisque tu m'amuses autant, je dois te rendre la pareille. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

Certainement pas grand chose, mais il y avait un début à tout, n'est-ce pas ? Puisqu'il n'arrêtait pas de se moquer de la jeune fille, on pouvait dire qu'il lui devait aussi quelque chose en retour. Oh, Nana n'accordait pas grande importance à l'équivalence des traitements. Il aimait se moquer, il aimait rire, et puis après les gens se débrouillait avec lui. S'ils n'étaient pas contents, ils n'avaient qu'à le faire savoir. Néanmoins ce traitement s'appliquait souvent aux hommes. Les femmes, c'était différent, et quelque part, Nana commençait à comprendre ce que Michiyo voulait dire par « les femmes ont moins de force, mais sont plus perfides ». Oui, pour la plupart, elles étaient belles et leur fragilité les rendait presque intouchable. C'était vraiment étonnant.

Oui, Nana ne voulait donc pas laisser la dénommée Arya sans possibilité de se défendre. Après tout, elle n'avait pas l'air au meilleur de sa forme, et se déplaçait peu, contrairement au chain. Mais bon, en même temps il était tellement rare de voir un chain par ici que Naaru ne pouvait s'empêcher de se lier d'amitié avec elle. Ce n'était certainement pas réciproque, mais au final, ça lui était bien égal. Le nombre de personnes à être « amis » avec lui s'emplissait et se désemplissait. Dès qu'il en avait marre d'une personne, il l'oubliait, point à la ligne. C'était aussi bête et méchant que ça. Alors voilà, tout ce qu'il pouvait faire, c'était remercier la demoiselle dans l'instant et ne pas se fier au futur. Il ignorait si elle allait lui demander une chose étrange, banale, ou même tout simplement se taire. Mais bon, lui qui aimait bouger, il n'allait certainement pas passer sa vie à discuter sans rien faire, surtout si cela n'allait pas faire avancer quelque chose dans sa vie. Oh certes, il vivait et vivrait encore longtemps, mais en ce monde, ce n'était pas le cas de tout le monde alors il avait appris à vivre chaque jour comme si c'était le dernier. Simplement et au gré des heures qui passaient, comme cette petite rivière tranquille, qui ne demande son chemin à personne, et se contente de couler d'amont à aval.

La demoiselle bougeait beaucoup plus à présent. Depuis qu'il était sorti de l'eau, Arya s'était tranquillement levée et dirigée vers un arbre. Naaru ne put alors s'empêcher de produire une moue surprise. Tiens donc, était-ce une manie pour les chains d'adorer monter aux arbres ou bien était-ce simplement un point commun ? Notre brun n'en savait rien, mais cela l'amusa encore plus. Il se demanda qui d'elle ou de lui était le ou la meilleure grimpeuse. En restant pourtant à proximité du cours d'eau, le chain hésita à aller la rejoindre. Elle semblait beaucoup plus vivante que lorsqu'il l'avait vu la première fois. C'était un peu son pouvoir magique à notre Nana. Faire bouger les personnes. Les faire réagir en bien ou en mal. On ne pouvait rester de marbre devant une telle vitalité. C'était faire face à un blizzard d'émotions. C'était impossible. Et puis, toute cette mascarade faisait rire notre monsieur, alors c'était à son plus grand avantage. Il inspira lentement et sourit en regardant la demoiselle s'amuser sur sa branche.

Il ne fit pas un seul pas vers elle lorsqu'elle se retourna subitement sur sa branche. Naaru avait beau être quelqu'un de sympathique au premier abord, il avait une certaine description de la vie, et n'était pas prêt à aider le premier venu pour ses beaux yeux. Il n'était même pas sûr qu'il aide quelqu'un même avec une contrepartie. De toute manière, Arya se débrouillait très bien toute seule et puis elle le fixait, tout en étant à l'envers. Il continua de sourire, avant de diriger son regard vers l'eau. Ça lui rappelait tellement l'Abysse. Pourtant, cette eau-là n'avait aucun point commun avec celle qu'on pouvait trouver dans l'abysse. Celle-ci était claire, limpide et d'une densité différente de l'air. Elle mouillait, possédait une caractéristique propre. Le sol de l'Abysse était innommable. Il n'y avait aucun équivalent ici. Il fallait y avoir été pour savoir ce que c'était. Notre brun poussa un léger soupir avant de retrouver le visage d'Arya. Il s'en irait probablement sous peu. Il s'amuserait avec ses amis de la forêt et le silence qui peut y régner. Peut-être tuerait-il quelques bandits s'il venait à en rencontrer. Il ne savait pas trop, cela dépendrait de sa volonté à ce moment-là. Il changeait d'avis comme de chemise. Instable, sans doute. Ses réactions étaient parfois totalement déconnectés de la réalité. Il pouvait rire à l'annonce d'un décès. Il ne pleurait pas. Il ne savait pas ce que c'était qu'être triste, ou bien se contentait-il d'être un homme sans émotions à ce moment-là. Bref, notre jeune homme avait encore beaucoup à apprendre auprès des humains.

Puis, le brun fut sorti de ses pensées par la voix d'Arya. Ah oui, de quoi parlaient-ils déjà ? Il lui avait posé une question, mais laquelle ? Il l'avait déjà oublié. Peut-être devait-il disparaître maintenant ? S'amuser avec quelqu'un d'autre. Après tout, notre homme ne s'attachait pas aux autres. Il connaissait certainement la ville entière, les enfants comme les vieillards. Mais voilà, Réveil pouvait bien disparaître, il pouvait tout aussi bien tuer toute cette population si on le lui demandait. Il n'avait pas d'égards pour les autres, et encore moins sous sa forme de chain. Après tout, qu'était-ce qu'un humain ? Une mince brindille qu'on pourrait casser vraiment facilement. Cependant, cette façon de penser était en train de changer, lentement. À cause d'une seule femme. La seule personne vivant pour qui il donnerait toute son âme ne serait-ce que pour lui permettre de vivre cinq secondes de plus.

C'est pourquoi, à l'entente du mot amitié, Naaru ne put s'empêcher de pouffer légèrement. Oh oui, il donnait son amitié à qui veut. Mais c'était un mot faible. Il n'était même pas sûr de revoir cette chain un jour. Si ce n'était qu'une parole, alors il la donnerait. Certes, cette jeune femme possédait les mêmes attributs que lui, à l'exception qu'elle était libre. Il avait des raisons d'être plus attaché à elle qu'à n'importe qui d'autre. Pourtant, c'était bien le fait qu'ils soient tous les deux chains qui l'embêtait. S'ils se revoyaient, il n'était pas certain que ce serait pour discuter comme ici.

-L'amitié, hein ? Tu penses vraiment que cela existe ? C'est facile de donner sa parole, mais entre chain nous ne sommes jamais certains de ce que le futur nous réserve. Nous pourrions bien nous tuer à la prochaine rencontre.

Ses mots étaient durs. Ils balayaient tous les espoirs, mais peut-être que cette femme n'y était pas sensibles. Après tout, les chains étaient de bien curieuses créatures. Arya pouvait tout aussi bien lui répondre. Quoique, cela l'étonnait franchement. Tenter de raisonner Nana était une cause perdue d'avance. Il était borné, campé sur ses idées et persuadé qu'il était impossible de changer. Il écoutait. Apprenait. Mais ses valeurs n'avaient jamais changé. Ou presque. Et puis, la demoiselle lui renvoya l'ascenseur. Ce qu'il souhaitait ? Maintenant ? Il n'en savait rien. Peut-être qu'il irait voir Michiyo. Mais Arya n'avait strictement rien à faire dans ce schéma. Que pouvait-elle faire, hein ? Nana était un homme comblé. Il ne demandait rien, sa simple présence lui suffisait. Tant qu'il avait des distractions partout autour de lui, il ne râlait pas. Il devenait dangereux quand il s'ennuyait. Voilà tout. Il lança un sourire presque carnassier et répondit.

-Ne pas m'ennuyer. Je suis assez imprévisible quand je m'ennuie. Tiens, pourquoi ne pas jouer à un jeu ? Le chat et la souris. Avec tout cet endroit comme air de jeu.

C'était conséquent mais après tout pourquoi pas ? Entre chain, c'était un jeu plutôt dangereux, mais aussi le plus amusant et le seul que notre brun connaisse vraiment. Peut-être allait-elle refuser ? C'était un jeu pour enfant, pourtant notre garçon adorait courir, grimper dans les arbres et tant de choses encore. Il épongea une nouvelle fois ses vêtements et remit ses vêtements sur lui, encore bien humides. Allez, qu'allait-elle donc répondre à ça ? Peut-être un autre jeu ?

L'être humain possédait parfois de drôles de sentiments dont le brun ne comprenait pas toujours le sens. En apercevant cette chain, il percevait parfois quelques éclairs d'humanité, tout comme lui. Ils se faisaient quelquefois plus forts ou plus doux. Mais on les percevait clairement. Un sourire, une gêne, une vexation. Au final, ces sentiments étaient véritables, clairs et limpides comme de l'eau de roche. Un sourire sanguinaire, qui voulait dire ce qu'il laissait penser. Peu de personnalités parvenaient à caractériser ce que pensait le chain au fond de lui. Son faciès s'animait constamment, afin qu'il ne représente pas la vérité pure. Parfois au contraire, il s'ouvrait et laissait les autres voir ce qu'il ressentait. Cela arrivait plus souvent qu'on ne le pensait. Après tout, que risquait-il à se confier ? Rien, si ce n'est peut-être des moqueries ou autre. Or, il n'était pas sensible à ce genre de choses. On pouvait même affirmer que peu de choses étaient capable de le déstabiliser. Il était un hors norme par défaut. Un paradoxe impossible à régler. Mais il était un chain, et chaque chain qui se respecte devait être déréglé, insensible, n'est-ce pas ?

En observant cette demoiselle, il pensait pourtant le contraire. Sans émotions ? Peut-être. Sans doute savait-elle jouer la comédie aussi bien que lui. Attendre le bon moment pour frapper et faire le plus mal possible, physiquement ou psychiquement. C'était un travail à faire sur soi, et aussi sur les autres. Une sorte de torture mentale. Quelque chose du genre. Naaru soupira en regardant ses pieds dans l'eau. Ça ne l'amusait plus du tout. L'envie de dormir ? Allons bon, il n'allait pas roupiller à longueur de journée comme le font ces vieux humains au bout de leur vie. Lui, il avait une vie bien plus longue. Trop longue peut-être. Ses yeux se teintèrent d'une sorte d'amertume mal définie. Il n'allait pas mourir de cause naturelle. Et comme punition pour ce don, il était forcé de se battre chaque jour pour sa survie. En ce moment heureusement, être lié à un contractant lui permettait de se reposer sur ses lauriers plus souvent que dans l'Abysse. Mais en y pensant, viendrait-il à mourir lorsque Finn laisserai échapper son dernier soupir ? Quoique, il était un Baskerville. Il avait et peu de chance de mourir, et une grande espérance de vie. Alors, Nana s'en foutait pas mal.il posa alors son regard sur la demoiselle chain et songea qu'elle devait se sentir bien seule ainsi. Ou pas. S'instaurer dans l'esprit d'un chain était à ses risques et périls. Tenter de comprendre ce qu'ils ressentaient était du même acabit.

Le brun relâcha un moment son regard des yeux émeraude de cette autre dame et fixa l'herbe à ses pieds. Pourquoi ? Pour rien. Sans doute réfléchissait-il dans son coin à un moyen de casser la monotonie qui s'était installé. Il refusait de rester stoïque dans une posture qui lui plaisait ou non. Enfin, tout dépendait du moment. Quand il restait dans le lit, ce pouvait être pour de longues heures. Lorsqu'il enlaçait Michiyo, ce pouvait être jusqu'à ce qu'elle le repousse gentiment. Mais ce n'était pas ce cas de figure. Arya était une totale inconnue pour notre brun et il n'avait pas plus envie que ça de la prendre dans ses bras. Les chains n'étaient pas comme les humains. Ce n'était pas en observant un enfant plus jeune que soi qu'on voulait nécessairement le prendre dans ses bras. Il fallait dire ce qui était : Arya faisait très jeune. Seuls ses yeux trahissaient une certaine maturité néanmoins incertaine. Plongé dans ses pensées, formulant une demande à haute voix, il fut d'ailleurs surpris d'obtenir une réponse en si peu de temps. La demoiselle faisait des pirouettes sur son arbre mais s'était subitement stoppée et s'exprima alors en u  long monologue. Tout du long, le chain resta scotché aux lèvres d'Arya, écoutant chaque recommandation, chaque questionnement. Un jeu pour enfants ? Pour sûr. Mais après tout, qu'étaient-ils pour jouer autant avec la mort ? Des enfants qui ignorent tout de la vie. Et c'est ce qu'ils étaient. Pour l'ôter si facilement, ils en ignoraient le principe même.

Enfin qu'importe, la demoiselle fit une proposition étonnante qui allait à l'encontre même du jeu. Une défense ? Mais comment détermineraient-ils qui passerait du côté chat ou souris ? Jusqu'à ce que l'un des deux parti ne tombe à terre, lacéré de toute part ? C'était idiot, le chat deviendrait alors le plus faible des deux. Ils pouvaient tout aussi bien engager un duel ici même. Malgré tout, le chain ne répondit rien et se contenta de croiser les bras en silence. Il réfléchit. Et puis, pourquoi pas. Ils aviseraient sur le moment. En relevant la tête, il remarqua que la jeune femme lui lançait un sourire assez mauvais tout compte fait. Sadique même. Pourtant, Naaru ne nota même pas ce fait et continua de scruter son regard. Un instant plus tard, face au mutisme total du chain, Arya appuya un nouvelle fois sa proposition, lui donnant le choix de refuser. Le chain soupira alors et décroisa ses bras avec lenteur.

-Ça me va. On considérera le changement de rôle si le chat parvient à maintenir la souris plus de dix secondes.

C'était un marché honnête. Dix secondes pouvaient paraître longues, mais c'était une règle comme une autre. De cette manière, ils pourraient s'amuser longtemps de la sorte. Jusqu'à ce que l'un ne finisse par quitter le jeu en court de route, probablement. Naaru passa une main rapide dans ses cheveux pour remettre de l'ordre dans ces derniers, même s'il savait pertinemment que cela ne servait à rien. Il sautilla sur un pied puis sur l'autre, de manière à vérifier que tout allait bien. Aucun problème à déclarer, il était fin prêt pour mener une chasse ou courir sur de nombreux bornes. Il lança alors un sourire encourageant et amusant puis poursuivit.

-Priorité aux dames, je te laisse choisir ton rôle. J'aviserai en fonction.

Il avisait toujours en fonction. Tout faire au dernier moment. Échapper à la mort dans la dernière seconde, c'était son train-train habituel. Une dangereuse danse où chaque mauvais pas pouvait lancer un coup fatal. Outre cela, Naaru était un très bon danseur.

Proposer un jeu. Quoi de mieux pour se détendre, penser à autre chose ? À vrai dire, Naaru ne pensait pas à grand chose. S'il se bougeait actuellement, c'était par simple ennui. Non pas que la présence de l'autre dame le dérangeait. Au contraire, il ne se trouvait pas en mauvaise compagnie. Tout du moins le pensait-il. Habitué à ne pas vraiment voir le mal là où il était, le chain pouvait tout aussi bien passer à côté d'un meurtrier sans même le calculer. Ça, c'était un de ses gros défauts du moment. Oh, il serait mentir que dire que le chain ne se sentait pas puissant. S'il ne portait pas le monde sur ses épaules, c'était par pure flemmardise. Il n'était pas non plus un fervent défenseur de la justice. Pour autant, il ne sentait pas en position de faiblesse. Pour ainsi dire jamais même. Qu'importe, ses réflexions l'avaient naturellement porté vers le jeu. Un simple et débile jeu de chat. Ce genre de distractions à faire dans une cours de récréation entre un groupe de primaire. Pourtant, il savait pertinemment que ce ne serait pas un jeu ordinaire, car pour ce faire, il faudrait des personnes normales. Or, ni elle ni lui ne rentraient dans cette catégorie. Un sourire sympathique tira son visage dans un air amusé. Il plissa les yeux, excité par ce nouveau jeu. Et cette expression ne le déserta pas même lorsque la demoiselle proposa une règle supplémentaire. Il ne s'était pas trompé, le jeu allait réellement être modifié. Peut-être qu'au final, l'un d'entre eux y laisserait la vie. Ah, c'était tellement beau. Ses pas de danse s'accéléraient peu à peu. Mais il devait se calmer. Ne pas forcer le jeu jusqu'au massacre. Ça allait être difficile, surtout si elle lui ajoutait des règles de ce genre.

Finalement, Arya se décida à choisir son camp. La souris. Bien, c'était donc à lui de commencer la traque. Il s'humidifia les lèvres et attendit le départ. Allons bon, il n'allait pas de suite lui sauter à la gorge ou le jeu finirait bien trop vite. Et puis, galanterie oblige, il laisserait un temps à la demoiselle pour s'enfuir. Depuis combien de temps s'intéressait-il à la galanterie ? Depuis peu. Approximativement cinq à six secondes. Mais cela n'était apparu que pour une phrase. Bref. toujours est-il qu'à force de ne pas bouger, une moue vexée s'installa sur le visage de notre brun. N'allait-elle finalement pas bouger ? C'était dérangeant. Naaru ouvrit la bouche pour s'exprimer, pris au dépourvu, mais Arya ne lui en laissa guère le temps.

Les sourcils se froncèrent sur le visage du jeune homme, toute joie envolée. Non, que voulait-elle dire au travers de cette phrase ? La personne qui comptait le plus pour lui ? Pourquoi ? Qu'allait-il sensiblement arriver à la personne ? Et puis, au final, qui était la personne qui comptait le plus pour Naaru ? La réponse lui semblait évidente. Dans son esprit, le premier visage à apparaître était celui d'une jeune femme aux cheveux bleus. Forcément. Mais si dans un des pires cas, il ne pourrait sauver qu'elle ou son contractant, il sauverait son contractant. C'était... comment dire, sa vie contre la sienne. Et il n'était pas capable d'offrir sa vie à quelqu'un d'autre. Si son contractant mourait, il le suiverait sans pouvoir demander son reste alors dans l'immédiat, la personne qui comptait le plus était certainement son contractant. Parce qu'être sa moitié n'était pas un simple effet de style. Mais détailler l'apparence de Finn serait purement subjective tant il avait posé une remarque sur ses traits. De plus, en tant que Baskerville, Naaru avait finalement appris qu'il n'était pas dans son intérêt d'afficher son visage un peu partout. Pour résumer, il était préférable de tenter de décrire Michiyo. Non pas parce qu'il se fichait de ce qu'il était susceptible de lui arriver. En fait, on était même loin de cette façon de penser. Si Arya se permettait de ne toucher qu'à un seul de ses cheveux, Naaru ne jouerait plus très longtemps. Bon, et la réponse alors ? Elle ne tarda pas à se faire attendre.

-Je ne te le demanderai pas. Mais si tu attentes d'une quelconque manière à cette personne, je ne considérerai plus ce jeu comme tel. Et c'est une menace dont je pèse les mots.

Oh que oui, il pesait ses mots. Si cette demoiselle s'était présentée un ou deux ans plus tôt, elle n'aurait sans doute pas eu affaire à un Nana de ce genre. À peine aurait-il pu décrire son propre contractant. Mais il avait bien changé. Enfin, le sérieux ne seyait guère à notre bonhomme, qui décroisa ses bras avant de reprendre une attitude un peu plus décontractée. Il inspira profondément et décrit ce qu'il pouvait presque voir face à lui.

-C'est une femme aux cheveux bleus azur, longs à peu près jusqu'au bas du dos. Ses yeux sont de la même couleur. Elle n'est pas très grande et donne l'air d'avoir seize ou dix sept ans. Elle a un sale caractère quand elle veut et est vraiment bornée. Mais son sourire est vraiment magnifique et elle est très belle.

Ceci dit, le regard du chain se reposa sur la demoiselle et il sourit gentiment. Alors, à présent qu'elle était décidément bien avancée, qu'allait-elle faire ? En tout cas, maintenant qu'il avait donné ces renseignements, il foncerait à toute allure chez Michiyo. Quoique, il n'avait pas précisé l'endroit où elle vivait. Alors quoi ? Le brun restait suspicieux. Décidé à en finir le plus rapidement possible, Naaru décida d'arborer fièrement sa forme de chain. Ses cheveux passèrent au blanc neige et ses yeux s'incrustèrent d'une couleur vermeil. Heureusement qu'il n'y avait pas de métal aux environs, car il aurait probablement vibré sous la force qu'exerçait Naaru sur ce dernier.

-Bon, on se bouge ? Je te laisse le temps qu'il te faut pour t'échauffer un peu et courir. Surtout courir, sinon je vais m'ennuyer.

Dit-il.

Pourquoi ? Naaru se posait beaucoup trop de questions. Dès qu'on touchait de loin ou de près à quelqu'un qui comptait pour lui, notre homme se mettait sur la défensive. C'était ainsi et personne n'y pouvait rien. Néanmoins, il se demandait encore comment elle pouvait attenter à la vie de Michiyo d'une quelconque manière que ce soit. Et c'est bien parce qu'il l'ignorait qu'il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'elle avait en tête. C'était tout simplement impossible. Même s'il existait peu de personnes aux cheveux bleus à Réveil, la capitale était bien trop grande pour que l'on parvienne à pister une seule personne sans l'avoir déjà vue au moins une fois. Bref. Aussi le brun se calma lorsqu'une réponse parut enfin à ses oreilles. Et même si le ton ne lui plaisait guère – comme depuis le début en fait – il fut soulagé. Certes, il laissait planer bien vite des sous-entendus. Les mots étaient une façon très facile de se battre. C'était cru mais aussi pacifique. On pouvait faire passer tellement de choses à travers les mots, même si le contact physique était aussi une chose très importante. Doucement, il se rassura et mit les mains dans ses manches. C'était un peu sa posture neutre, quand tout allait bien. Un signe distinctif de ce drôle d'animal.

Lancer un jeu. Se détendre ou chasser. C'était plutôt une bonne idée en apparence. Mais plus le temps passait, et plus il se demandait s'ils allaient finalement se lancer à la poursuite de l'autre. Néanmoins Arya se décida à bouger suite à sa phrase. Ah, elle ne voulait donc pas s'échauffer. C'était mal. On ne savait jamais ce qui pouvait se produire lors d'un combat. Cependant, il respecta le choix de la jeune femme et lui laissa le temps de détaler. Oh, il avait eut le droit à un merci. Il ne l'aurait jamais cru capable de prononcer ces mots. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, tandis qu'il l'observait disparaître. Mais subitement son image se modifia et une demoiselle aux cheveux bleus se dessina. Ils étaient un peu plus foncés que celles de Michiyo, et c'est principalement pour cette raison que le chain ne bougea pas de son endroit, exprimant sa surprise. Il nota néanmoins son pouvoir et salua l'effort. Bon, ce n'était pas aussi efficace que le sien, et peut-être était-elle capable de mieux, mais en tout cas, cela lui confirma qu'il n'avait sans doute pas besoin d'y mettre toute sa force. Bon, évidemment, il se prenait toujours pour le plus fort de tous. Mais tout de même.

Puis, une fois certain de ne plus l'avoir dans son champ de vision, le chain plissa les yeux d'excitation et se lança à la poursuite de la demoiselle. C'était toujours plus intéressant de courir après quelqu'un en utilisant son nez et tous ses sens plutôt que la vue. Malgré tout, pour le coup, il perdu rapidement Arya. Elle était drôlement plus rapide qu'il ne l'avait imaginé. Alors, il décida de se rendre à leur point de départ. Bien sûr, il prit considérablement son temps, au cas où il la verrait sortir de nulle part et pourrait alors la prendre par surprise. Mais bientôt, il commença à lever la tête pour observer les oiseaux, guidé par leur chant. Il se gratta le sommet du crâne et bâilla même. Lorsqu'il était seul en pleine nature, il avait parfois – souvent – tendance à oublier le reste. Il pouvait dormir toute la journée sur une branche jusqu'à ce que celle ci ne cède sous son poids. Cependant, ça n'arrivait pas souvent, car il choisissait les plus hautes cimes, plus résistantes. Puis, il se retrouva finalement au point de ralliement, si l'on pouvait appeler ça ainsi. Et là, il la trouva à genoux, ayant l'air de respirer difficilement. Eh bien eh bien, avait-il gagné sans même l'attaquer une seule fois ? Oh non, c'était trop facile. Il soupira et marcha jusqu'à la demoiselle. Elle souffrait. Ça se voyait clairement sur son visage. Elle... oui elle pleurait. Naaru ignorait que les chains pouvaient pleurer. C'était plutôt incroyable de le voir de ses propres yeux. Ça le saoulait. Il eut envie de faire demi-tour, et de la laisser là en train d'agoniser. Après tout ce pouvait être une ruse afin de lui faire abaisser ses défenses. Ils ne se connaissaient pas mutuellement, et peu de choses pouvaient réellement affecter notre beau brun.

Malgré tout sur le point de partir, il fit demi-tour et s'agenouilla près de la demoiselle. Depuis qu'il fréquentait les humains, il avait changé. Il se préoccupait plus du sort des autres. Un peu plus, mais suffisamment pour ne rebrousser chemin au moindre problème le chiffonnant. Sans pourtant vraiment savoir quoi faire, Naaru restait impassible. Alors, pour seule phrase, il demanda :

-Y'a-t-il un moyen de te calmer ?

Des fois, la présence d'une personne calme à ses côtés permettait de calmer la douleur. En tout cas, les humains fonctionnaient ainsi. C'était certainement différent pour les chains. Malgré tout, s'il pouvait faire quelque chose, il le ferait. C'était de la gentillesse, de l'aide, peut-être aussi de la compassion. Il n'avait pas pour habitude d'aider les chains. En fait, c'était même l'inverse. Les chains, il les tuait de sang froid. Voilà pourquoi, même sans vraiment s'en rendre compte, il n'éprouvait pas de sentiments particuliers. Malgré tout, sa bonne humeur restait la même et il ne lui tournerait pas le dos. Après tout, si elle ne faisait pas d'efforts pour s'exprimer, Naaru n'allait pas la forcer, ce n'était pas dans ses habitudes. Il osa pourtant poser une main dans le dos d'Arya pour la rassurer, en espérant ne pas déclencher ses foudres.