Cassandre était en plein rêve lorsque le bruit d’une assiette qui se brise la réveilla. La jeune fille entrouvrit avec difficulté les yeux et vit la lumière du jour qui filtrait à travers les rideaux de sa chambre. Elle étouffa un grognement et s’étira. Pourquoi avait-il fallu que la maladresse d’un domestique la tire du sommeil par un samedi matin aussi calme ? Elle repoussa les couvertures froissées et s’extirpa du lit. La semaine d’apprentissage à Pandora s’était révélée exténuante - bien que très intéressante – et la jeune fille n’aurait aspiré qu’à dormir pour le reste de ses jours. Peine perdue.

Elle se leva pour aller s’appuyer à sa fenêtre tout en prenant bien garde de ne pas marcher sur les nombreux objets qui jonchaient le sol de sa chambre. Elle passa sa petite tête derrière le rideau et promena son regard le long du jardin, lequel était baigné de lumière. La jeune fille eut un soupir de consternation en regardant le bazar dans lequel était plongée sa chambre. « Mère va me tuer », songea-t-elle avec appréhension. « Mais je ne peux pas passer la matinée enfermée ici à ranger avec un soleil pareil »

L’adolescente ouvrit les portes de son armoire et survola du regard les robes qui y étaient amassées. Des robes qu’elle ne mettrait sans doute jamais de son propre gré. Elle se mit sur la pointe des pieds et réussit à attraper sa tenue favorite : un simple pull vert foncé orné de franges, qu’elle portait le plus souvent avec son short noir et ses collants de la même couleur. La jeune fille enfila le tout en se brossant les cheveux. Elle fourra vite fait ses affaires sous son lit en espérant que sa mère ne rentre pas, puis jeta un dernier coup d’œil dans son miroir.

- Et voici, mesdames et messieurs, la face cachée de Cassandre Frost, j’ai nommé la fille qui ne supportait plus les robes ! chuchota la jeune noble de façon quasiment inaudible.

Elle ouvrit le battant de la fenêtre, fit basculer ses jambes du côté du vide et franchit en se laissant tomber les deux mètres qui la séparaient du sol. Une fois libre, la jeune fille ne put s’empêcher de partir au pas de course vers Réveil.

Après près d’une dizaine de minutes de marche, Cassie atteignit le centre ville de Réveil. Pour un samedi matin, à une heure pareille - à savoir aux alentours de neuf heures – la jeune noble trouvait que la place principale était très peuplée. Quelques secondes d’hésitation plus tard, elle céda à la tentation de s’asseoir sur le bord de la fontaine. Sans trop qu’elle sache pourquoi, c’était son endroit favori de tout Réveil. De là, elle avait une bonne vue sur l’ensemble de la foule. Elle tuait souvent le temps en observant les visages, en détaillant les habits ; de là, elle jouait à deviner qui pouvaient être ces personnes. Bien sûr, ses hypothèses étaient toutes plus saugrenues les unes que les autres, et l’adolescente n’avait aucun moyen de les confirmer. Cela dit, ça lui faisait oublier ses problèmes, donc elle aimait bien ce jeu.

Perdue dans ses pensées, la jeune fille sentit quelque chose rentrer dans son épaule. Néanmoins, il lui fallut encore quelques secondes pour réaliser que c’était elle qui avait percuté l’autre… L’autre quoi, en fait ? Elle leva les yeux et croisa le regard noisette d’une fille qui devait approcher son âge.

Elle passa sa main dans ses cheveux avec une pointe de culpabilité, même si intérieurement elle ajoutait sa maladresse à la liste ô combien aimée des défauts qu’elle n’était pas obligée de cacher quand elle se baladait incognito.

- Oups, pardon ! lâcha aussitôt Cassie sur un ton penaud. Je ne t’avais pas vue je… Eh mais je t’ai pas fait mal, au moins ?

Elle lança un bref regard à la tenue de l’inconnue. Elle portait une simple tunique rouge et blanche. Cassandre ne put s’empêcher de sourire. Ça, c’était exactement le genre de tenue que la noblesse ne pouvait pas voir, et c’était aussi exactement le genre de tenues qu’elle aurait pu porter. Songeant que cette fille lui avait l’air de quelqu’un de bien, Cassie décida d’engager la conversation. Ça ne pouvait qu’être plus intéressant que de regarder marcher les gens sur la place.

- Comment tu t’appelles ?

Au début, ce fut comme une sorte de houle qui donnait vaguement mal au cœur, Yuki se dit que, décidément, elle n’aimait pas le bateau. Puis sa vue s’éclaircit et la jeune fille se rendit compte que les voiles qui flottaient devant elle n’étaient pas celles d’un bateau, mais la paire de rideaux qui flottait dans sa chambre.

L’espace d’un instant, la nouvelle arrivante crut qu’elle était de retour chez elle, avant de réaliser que la salle dans laquelle elle se trouvait était beaucoup plus petite que celle qu’elle avait l’habitude de fréquenter. C’était une chambre aux murs blancs, meublée d’un lit, d’une armoire remplie de robes que la jeune noble ne portera sans doute jamais, d’un bureau et d’une petite étagère pleine de livres plus fascinants les uns que les autres.

Yuki s’étira et sortit de son lit. Elle alla en direction de sa fenêtre et observa le ciel, celui-ci était bleu et ensoleillé, rien de tel pour commencer le week-end. La jeune fille lança un regard bref à sa chambre, celle-ci était remplie de cartons qu’elle n’avait jamais ouverts.

« Je ne vais tout de même rester enfermée ici avec un temps pareil »souffla-t-elle.

L’adolescente ouvra son armoire et y pris une petite robe rouge ainsi qu’une tunique qu’elle avait dissimulée derrière une longue robe rose que son père lui avait donné. Puis elle coiffa ses longs cheveux châtains en deux coups de peigne et sortit.

La jeune noble ouvra grand ses yeux noisettes, jamais elle n’avait vue autant de monde regroupés en un seul endroit. Il n'était que neuf heure et pourtant la capitale semblait plus animée que jamais. Yuki entendit une mélodie vers le centre, elle décida d'aller voir.
Le samedi matin était jour de marché à Réveil, et tout le monde était regroupé vers le centre.
La jeune fille courrait dans tout les sens comme un oiseau qui sort de son nid. Elle entra dans une boutique par-ci, une boutique par-là, elle ne se lassait pas de courir.

Au bout d'un moment l'adolescente décida d'aller se poser. Elle s'arrêta près d'une fontaine et regarda de jeunes enfants jouaient dans les rues.

"Je t'interdis d'aller jouer avec eux, ils ne sont même pas de la noblesse !"

Yuki se souvenait de cette phrase que lui avait dit son père lorsque la jeune enfant voulait aller jouer avec les enfants des domestiques. Mais aujourd'hui était différent, l'adolescente pouvait accoster n'importe qui loin des règles que lui imposait son père. Il n'y avait plus personne qui choisirait pour elle. Alors qu'une légère brise souffla au dessus de la fontaine, la jeune noble sortit un livre qu'elle venait d'acheter et commença sa lecture.

Elle était en train de commencer le premier chapitre quand soudain quelque chose vint se heurter à son épaule.
Yuki se retourna et vit une jeune fille qui semblait approcher son âge, celle-ci la regarda avec un air gêné tout en passant sa main dans ses cheveux.

- Oups, pardon ! Je ne t’avais pas vue je… Eh mais je t’ai pas fait mal, au moins ?

La jeune fille observa l'inconnue et remarqua que celle-ci lança un bref regard à sa tenue. Il est vrai que ce n'était pas une tenue semblable à celle des autres personnes et pourtant ce n'était pas non plus le genre de tenue qu'aime porter la noblesse. Il était donc assez difficile de définir le rang de celle-ci.

-Euh... Non ne t’inquiète pas pour ça.

- Comment tu t’appelles ? Lança finalement l'adolescente.

Il était inutile de lui donner mon nom de famille, je ne veux pas qu'elle se comporte de façon courtoise avec moi alors...

- Je m'apelle Yuki et toi ?

Depuis toute petite, les robes et leurs froufrous insupportaient Cassie. Elle n’avait jamais réussi à comprendre l’intérêt qu’y portait sa mère, et encore moins les raisons pour lesquelles elles devaient toujours sortir les belles tenues pour le dimanche alors qu’elles allaient simplement marcher à Réveil. En grandissant, elle avait peu à peu compris que c’était une question d’apparence, une manière comme une autre d’exposer au monde qu’elles étaient de la noblesse et qu’elles avaient à être respectées. Et Cassandre avait tout de suite rejeté cette stupide règle. Oh, pas devant sa mère – celle-ci aurait été capable de l’emprisonner dans sa chambre pour moins que ça. Mais quand elle était seule, l’adolescente se plaisait à s’habiller comme… Comme quoi, au juste ? Une noble n’aurait jamais porté ce genre de tenue, mais ce n’était pas non plus le style vestimentaire qui caractérisait les pauvres. Cassandre s’habillait sans se soucier de son image, puisque son apparence lui était égale. Elle ne voulait pas que les gens déterminent à sa tenue ce qu’elle était ; elle-même s’amusait souvent à tenter de déterminer le rang social des passants à leurs habits, et même s’il lui arrivait de faire des erreurs de jugement, elle tombait souvent juste.

Mais là, c’était diffèrent. Cette fille ne portait ni les habits de la noblesse, ni ceux des habitants de Réveil plus modestes. Cassandre avait beau réfléchir, elle ne parvenait pas à déterminer son rang social par ses habits. Et ça, ça lui rappelait une certaine Cassie Frost. Un peu. Beaucoup.

- Je m'apelle Yuki et toi ?

La jeune fille mit quelques secondes à réaliser que Yuki lui avait posé une question. Bon sang, elle était dans la lune ce matin ou quoi ? Elle secoua la tête comme pour chasser ses pensées.

- Ah, moi c’est Cassandre, sourit-elle.

Elle hésita à lui donner son nom de famille, mais l’autre ne l’avait pas fait et elle n’en voyait pas l’intérêt. De toute façon, elle n’avait pas l’air d’être du genre à se soucier de ce genre de choses – « un bon point », songea Cassandre.

- Au fait, appelle-moi Cassie, ajouta-t-elle avec un léger sourire.

La jeune fille promena un regard gêné sur la place en attendant que Yuki commence – ou non – à parler. Cassandre n’avait jamais eu le don d’entamer une conversation ; généralement, elle allait vers les gens, mais c’était ces derniers qui faisaient le premier pas – il faut dire que sa bouille de gentille fille aidait. Elle se demanda quelques secondes si Yuki allait ou non lui répondre, avant de réfléchir l'espace d'un instant. Avait-elle déjà vu cette fille à Pandora ? Cette interrogation en entraina une autre dans la tête de la jeune fille, et elle vérifia du coin de l’œil qu'il n'y ait personne de sa connaissance sur la place. Non, ça avait l'air d'être bon. « Je suis en train de devenir parano », soupira intérieurement l'adolescente avant de reporter son attention sur son interlocutrice.

- C'est la première fois que je vois autant de gens ici ! lança-t-elle timidement histoire de reprendre la conversation.

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